[1833] Excursion à cheval dans la Pampa argentine

Du 11 au 17 août 1833, Darwin entreprend un voyage à cheval depuis le Rio Negro et la ville de Carmen de Patagonia jusqu'à Bahia Blanca, située à 240 km plus au Nord. Dans ce billet, je vous propose de retrouver les principales étapes de cette excursion. Certaines d'entre-elles font l'objet d'articles détaillés sur ce blog.



Les longs séjours en bateau ne sont pas forcément du goût de Darwin, notamment parce qu'il est sujet au mal de mer. Aussi pendant que le HMS Beagle effectue le relevé de la côte argentine, Darwin, entend s'épargner ces monotones journées pour explorer le continent. Le capitaine FitzRoy ne s'y oppose nullement, l'entreprise faisant clairement partie des prérogatives du poste de naturaliste à bord du Beagle. Le 10 août 1833, Darwin prépare donc une excursion terrestre depuis le Rio Negro jusqu'à Bahia Blanca, où il doit retrouver le brick-sloop. La pampa argentine n'est pas totalement sûre en raison de l'hostilité de certaines tribus d'Amérindiens. De plus, nous sommes alors en pleine Campagne du Désert menée par le Général Rosas contre les peuplades locales. Darwin recrute donc un Gaucho pour l'accompagner et s'équipe en chevaux.

Le 11 août 1833, le périple terrestre commence. Au total, la compagnie à cheval compte sept membres : Darwin, M. Harris (propriétaire d'une des Goélettes louées par le capitaine FitzRoy), un guide Gaucho et cinq autre cavaliers Gauchos qui doivent rejoindre le campement du Général Rosas. Le nombre doit jouer en leur faveur en cas de mauvaise rencontre : « tout le monde semblait apprécier la compagnie pour franchir ce passage désolé ». Charles Darwin, Journal de Bord. Mais premier déboire : les chevaux n'ont pas été correctement gardés durant la nuit, et plusieurs ont été volés ! Il faudra donc chevaucher certains chevaux de trait en plus des bagages.

Après avoir dépassé un paysage de Salinas comme précédemment décrit, la petite troupe s'engage dans un paysage vallonné et desséché, couvert d'herbe brune et de buissons épineux. La distance entre Carmen de Patagones et le Rio Colorado est alors de 137 kilomètres. Première halte remarquable du voyage, les cavaliers croise un arbre solitaire, considéré comme sacré pour les Indiens. Il s'agit d'un arbre consacré à la divinité Walichu, Darwin ne saurait dire s'il s'agit de l'autel d'une divinité indienne ou si l'arbre lui-même est un esprit de la nature déifié. Mais ce lieu sacré demeure encore fréquenté, malgré la purge argentine des natifs amérindiens. En témoignent les nombreuses offrandes (cigares, pains, étoffes, viande, etc.) disposées sur ses branchages. L'arbre sert aussi de lieu de culte, ce qui selon Darwin expliquerait la présence d'ossements de chevaux offerts en sacrifice.

Les Gauchos lui racontent comment ces derniers célèbrent l'arbre en lui faisant des offrandes et en versant de l'alcool et fumant à ses pieds. Souvent, ils attendent le départ des Indiens pour piller les offrandes qui les intéressent, témoignant du profond mépris de ces derniers pour les rites Amérindiens. Le soir venu, la compagnie s'arrête pour bivouaquer. Une vache erre dans le paysage. Les Gauchos la capturent au lasso promptement et l'abattent sur place pour griller sa viande. La soirée s'annonce joyeuse, commente Darwin. Le jeune homme est à la fois surpris et séduit par la vie rude - mais libre – que mènent les Gauchos. Un feu de camp au milieu de la pampa, une sensation bienheureuse d'isolement et de rudesse, voilà des souvenirs qui resteront gravés longtemps dans sa mémoire.

Le 12 août 1833, la faune de la pampa se révèle. Darwin observe des Agoutis, des Nandous et des Guanacos. Le lendemain, Darwin et ses compagnons de route arrivent au campement du général Rosas, le long du Rio Colorado. Cette rencontre constitue un temps fort de l'aventure ; Darwin y consacre un chapitre entier dans son Voyage d'un naturaliste autour du Monde. J'y reviens plus longuement dans un article, aussi vais-je résumer très succinctement l'épisode. Au terme de plusieurs entretiens avec l'imposante figure du Général Rosas, Darwin obtient un passeport et un bon pour des chevaux de poste du gouvernement. Tout au long de sa progression, Rosas a disposé des postes-relais jusqu'à Buenos Aires. Darwin est autorisé à s'en servir pour son ravitaillement durant son périple.

Il ne quitta le campement du Général Rosas qu'au 16 août 1833. Les cinq Gauchos étant arrivés à destination, ils restent donc sur place. M. Harris étant souffrant, il ne l'accompagne pas pour cette dernière étape du voyage. La compagnie à cheval se réduit donc à deux hommes : Darwin et son guide. Les deux hommes atteignent le quatrième poste-relais sur le chemin avant la nuit. Le lieutenant qui commande à la garnison de quatre soldats est un ancien esclave arraché d'Afrique. Darwin est captivé par son récit tout autant que par l'irréprochable tenue du poste-relais. Il faut certainement y voir un snobisme britannique, le jeune naturaliste n'ayant de cesse de mépriser l'aspect dépenaillé des troupes argentines.

Le 17 août 1833 au matin, Darwin et son guide quittent le poste-relais, direction Bahia Blanca, dernière étape du périple. Mais pour cela il faut contourner l'estuaire et passer par les marches marécageuses de la Cabeza de Buey. Cette portion septentrionale plus humide de la Pampa est alors boueuse en raison de pluies assez récentes. Et manque de bol, le cheval de Darwin trébuche dans la vase ! Le voilà tombé au sol, plongé dans la bourbe noire. « Accident fort désagréable lorsque l'on ne possède pas de vêtements de rechange » Charles Darwin, Journal de Bord. Les deux cavaliers apprennent que le canon d'alarme de Bahia Blanca a tonné. C'est le signal convenu pour avertir de la présence d'Indiens dans les parages. Darwin et son guide quittent immédiatement la route et longent prudemment les marais. Fort heureusement en arrivant dans l'enceinte de Bahia Blanca, ils apprennent que ces indiens sont des alliés du général Rosas. Il n'y avait donc rien à craindre. La guerre d'annihilation des peuplades amérindiennes se poursuit derrière eux, plus au Sud.


Gaucho (Argentine) début XXème. Gravure colorisée.


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