[1832] De Montevideo à Bahia Blanca

Du 19 août au 7 septembre 1832, le HMS Beagle quitte Montevideo en direction de Bahia Blanca, aux portes de la Patagonie. La sortie de la Baie de Montevideo est agitée, une forte brise de Nord-Ouest dévie légèrement le cours des eaux. Résultat au matin, il n'y a que 4 mètres de fond sous la poupe du navire ! Même si le HMS Beagle doit quitter Montevideo dans la journée, il doit changer de mouillage s'il ne veut pas risquer de s'envaser. Mais alors que l'ancre est levée, les vents font dériver le brick-sloop vers une épave ! Grâce à la rigueur des manœuvres de la Royal Navy, le navire évite de peu la collision. « Adios, barco inglés, adios » lancent les marins uruguayens depuis le port. Mais la discipline de la marine anglaise brille une fois de plus par sa compétence. Le HMS Beagle évite le naufrage et louvoie pour quitter la baie.

Le temps de rejoindre un paquebot anglais pour transférer courriers et paquets, et le Beagle met les voiles. Au soir, une bonne brise a emporté le navire à 74 km du Cerro. Le Beagle mouille sur place durant la nuit. Le 20 août dans l'après-midi, le brick-sloop est à 15 km de Punta Piedras, sur l'autre rive du Rio de la Plata. Le Capitaine FitzRoy a l'intention de revoir les cartes espagnoles afin de sécuriser la navigation dans ce dangereux estuaire. Le 21 août au milieu de la journée, le HMS Beagle explore minutieusement le rivage de Punta Piedras. La migration post-nuptiale est en cours ; des passereaux provenant probablement de l'Hémisphère Nord ont traversé le Rio de la Plata et trouvent refuge dans les gréements : « des alouettes, des gobe-mouches, des colombes, des pies-grièches. Tous paraissaient complètement épuisés ». Charles Darwin, Journal de Bord.


Etapes principales du HMS Beagle en route vers Bahia Blanca


Le 22 août 1832, le HMS Beagle longe la côte à 2-3 milles de distance et franchit le Cap San Antonio. Sur 75 km, le navire ne croise que des dunes de sable. Les eaux du Rio de la Plata ont perdu leur couleur boueuse alors que le navire quitte l'estuaire. Darwin note dans ses Carnets Zoologiques l'observation d'un phénomène de bioluminescence : comme si de minuscules étincelles jaillissaient de la surface des eaux du Rio. Les 23-24 août, beau temps. Le HMS Beagle arrive au Nord du Cap de Corrientes. Le pays est inhabité. « C'est trop au nord pour les Indiens & les Espagnols n'y habitent pas » Charles Darwin, op. cit. Le 25 août à midi, le Cap est franchi. Une bonne brise favorable empêche de débarquer des hommes ; le navire continue sa route.

Le temps se dégrade au 26 août. Impossible d'effectuer des relevés. Le fond étant rocheux, l'équipage se lance dans une session de pêche. Dans ses Notes Zoologiques, Darwin fait la description de quelques espèces de roches pêchées et en conserve quelques spécimens dans l'alcool. Leonard Jenyns, dans la Zoologie du voyage du H.M.S. Beagle, en fit l'identification précise. Percophis Brasilianus - Le Percophis du Brésil ou poisson "tête plate" brésilien. « Une fois cuisiné, très bon » précise Darwin. Acanthistius patachonicus et ses rayures sombres sur écailles cuivrées. Appelé parfois "mérou" de manière abusive, ou encore le "Bar argentin" (attention Acanthistius brasilianus porte aussi ce nom vernaculaire !) « Était difficile à manger, mais bon goût ». Pinguipes brasilianus ou le Pinge brésilien en français (et dont l'INPN suspecte la présence le long des côtes niçoises ! Merci la propagation mondiale d'espèces exotiques). Darwin ne précise pas si sa chair fut agréable ou non. Le jeune naturaliste ne fait pas que manger ce jour-là. Lors d'un sondage du fond marin, il récupère l'échantillon collecté et étudie de près les Corallines piégées dans la sonde.


Illustration d'un Percophis brasilianus - In : Règne Animal (Georges Cuvier)

Le 27 août, une tempête se lève ! Le HMS Beagle doit se réfugier en haute mer. L'ancre se brise en la remontant. Sur le gaillard d'avant, la caronade de 6 livres manque de tomber à l'eau. Le 28 août 1832, le mauvais temps de la veille a généré une forte houle qui empêche de débarquer sur le rivage. L'expédition doit donc patienter en mer. Le 29 août 1832, le mauvais temps perturbe encore le travail de cartographie du HMS Beagle qui progresse lentement. Darwin est songeur. Il y a un an, il participait à l'étude de la géologie du Pays de Galles ; aujourd'hui le voilà proche de la Patagonie !

Au 31 août, le temps redevient suffisamment clément pour s'approcher de la côte et reprendre les relevés cartographiques. Mais le vent de Sud-Ouest se met à souffler et l'ancre n'accroche pas le sable. « Je constate enfin que ma peur du mal de mer a nettement diminué, même si pendant deux jours j'étais sur le flanc » Charles Darwin, op. cit. Au 1er septembre, le vent tourne enfin au Nord, au soulagement des marins. Le lendemain de nouveau, une ancre se brise. On suppose que le fond sableux est aussi argileux, accrochant la patte de l'ancre si bien que nulle force ne peut l'en arracher. Le 3 septembre 1832, le navire continue ses mésaventures. Suite à une erreur du Pilote, il manque de s'échouer sur des hauts fonds argileux. L'étrave n'est qu'à soixante centimètres du fond ! Une fois de plus, Darwin admire la promptitude de l'équipage à la manœuvre , qui corrige le cap dans le plus grand calme.

Le 5 septembre 1832, enfin, le HMS Beagle approche de la baie de Bahía Blanca. Le 6 septembre, le Capitaine FitzRoy entreprend de pénétrer la baie dès le lendemain. Mais l'estuaire méandreux constitue un véritable labyrinthe de bancs de sables vaseux ! Ne connaissant pas les passes accessibles, le capitaine conduit son navire dans une impasse, et le Beagle manque de s'échouer. Prudemment, l'équipage manœuvre pour retourner au mouillage. L'estuaire de Bahía Blanca est un site d'importance régionale pour l'avifaune avec plus de 20 000 oiseaux limicoles présents, dont 1% de la population mondiale de Bécasseau maubèche (Calidris canutus ssp. rufa). Cependant, Darwin ne fait point état de cette richesse ornithologique alors que le Beagle se perd dans les méandres de l'estuaire.

Fort heureusement, une Goélette passe près du Beagle. Un officier est envoyé à bord afin de récolter des renseignements. Il s'agit d'un phoquier, parti de Bahia Blanca pour chasser ses prises dans l'estuaire du Rio Negro. Le Capitaine de bord, M. Harris, est associé à demi-part à l'entreprise. Il accepte de les piloter jusqu'à la colonie de Bahia Blanca, mais à la condition qu'on le transportât en canot jusqu'à la colonie fortifiée où il doit régler ses affaires. En effet, M. Harris souhaite embarquer à bord d'une autre Goélette au port. Grâce au pilotage du capitaine phoquier, le HMS Beagle mouille au soir dans une petite baie agréable et sûre. C'est chose faite au 7 septembre ; le voyage depuis Montevideo est enfin achevé !


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