[1833] Darwin et les formations sédimentaires de la Pampa
Du 16 au 17 août 1833, Darwin quitte le campement du général Rosas sur le Rio Colorado et chevauche en direction de Bahia Blanca. M. Harris, qui ne se sent pas très bien, ne l'accompagne pas pour la suite du périple. Durant cette chevauchée que nous avons présenté dans un billet précédent, Darwin va commencer à étudier plus en détails la géologie de la Pampa. « Entre le 2ème et le 3ème poste commença l'immense formation géologique qui, je crois, se prolonge jusqu'à Santa Fe, sur une distance d'au moins 600 milles » Charles Darwin, Journal de Bord. Darwin vient de pénétrer sur une vaste étendue qu'il identifiera par la suite comme appartenant à la formation Pampéenne, une couche sédimentaire du Cénozoïque que lui et le savant français Alcide d'Orbigny furent les premiers à étudier sur le terrain. L'ensemble de ses relevés ainsi que la description des échantillons rapportés de son Voyage permirent à Darwin de rédiger un chapitre entier consacré à cette formation géologique de la Pampa dans son ouvrage Geological observations on South America (1846)
Dès lors qu'il a franchi le Rio Colorado, Darwin note dans son Journal de Bord que le paysage se transforme sensiblement : les plantes mésophiles sont bien plus nombreuses, alors que les buissons xérophiles qui dominaient au Sud du Rio Colorado se raréfient désormais. Ces bioindicateurs sont d'autant plus importants qu'ils correspondent à un changement de nature pédologique. « La plaine est toute plate et d'une teinte brunâtre uniforme ; rien ne l'interrompt jusqu'à environ 25milles au nord du fleuve, où une ceinture de dunes de sable s'étend à perte de vue vers l'est et vers l'ouest » Charles Darwin, op. cit. Cette terre brunâtre est une couche sédimentaire cruciale pour la compréhension des fameuses formations pampéennes. Il s'agit de dépôts argileux rougeâtres que Darwin désigne sous le terme de "Pampean muds" et qui se composent à la fois de matériel pyroclastique provenant du volcanisme des Andes & de matériaux altérés d'origine granitique et métamorphique provenant des Sierra Ventana et Sierra Tandilia.
Affleurements de Monte Hermoso près de Bahia Blanca. Les marnes argileux rouges forment une couche inférieure; les dépôts calcaires sont au-dessus (sources). |
Plus au Nord, la ceinture de dunes précède un plaine surélevée de dépôts calcaires aussi appelés "Tosca-rocks" par Darwin. Ils forment au Nord-Est de Bahia Blanca la "Pampa interserrana". Tandis qu'une fois le Rio Salado franchi à une centaine de kilomètres au Sud de Buenos-Aires, les marnes argileux rougeâtres réapparaissent en surface. Cette nouvelle section géologique fut également traversée par Darwin, alors qu'il décide de quitter Bahia Blanca pour rejoindre à cheval Buenos-Aires entre les 8 et 20 septembre 1833. Darwin eut d'ailleurs l'occasion durant ce périple de prospecter les affleurements quartzitiques et autres roches métamorphiques de la Sierra Ventana. Il remarqua également les importants dépôts ferrugineux de ce massif, preuve de l'altération en cours de ce lambeau de pénéplaine isolé (tout comme la Sierra Tandilia) au milieu d'une vaste plaine sédimentaire.
Ces dépôts calcaires de "Tosca-rocks" forment la seconde couche majeure de ces formations pampéennes. Darwin remarqua la présence de fossiles de coquillages marins, consignant précieusement ses observations dans ses Carnets de géologie. Il récolta également de nombreux fossiles que d'Orbigny accepta d'identifier pour lui. Les indices fossilifères diffèrent dans les couches de "Pampean muds", il y déterra divers ossements de Mammifères terrestres que le Pr. Richard Owen accepta de décrire et d'identifier dans la Zoologie du voyage du HMS Beagle. L'ensemble de ces indices lui permit non seulement de proposer une datation relative des couches sédimentaires, mais aussi d'interpréter les différents environnements associés à leur formation.
Zárate & Folguera (2009) ont synthétisé les éléments de comparaison entre les descriptions de Darwin et les connaissances géologiques actuelles sur les formations pampéennes. Dans l'ensemble, notre célèbre naturaliste avait correctement dépeint le paysage géologique traversé. Il intégra dans ouvrage Geological observations on South America (1846) ces informations aux autres relevés qu'il effectua en Uruguay et dans la province argentine d'Entre-Rios. Puis, il proposa une hypothèse quant à l'origine géologique de cette formation pampéenne. Darwin supposait une origine bien plus récente que les datations actuelles (11-12 Ma, durant le Miocène). Son explication, basée sur une élévation progressive du continent sud-américain, n'est plus d'actualité. Mais au moins avait-il bien compris que ces dépôts sont d'origine estuariens et marins. Preuve qu'au cours du Miocène, en raison d'un paléoclimat bien plus chaud, une mer chaude et peu profonde recouvrait une portion considérable de l'Amérique du Sud !
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