Les carnets de terrain de Darwin

Durant son Voyage autour du Monde, Charles Darwin ne se contenta pas de tenir un Journal de Bord. Il possédait avec lui plusieurs carnets qu'il utilisait lors de ses excursions à terre. De retour à bord du Beagle ou dans ses résidences temporaires, ces notes crayonnées rapidement sur le terrain lui servaient par la suite de matériel brut pour rédiger ses Notes zoologiques, géologiques ainsi que son Journal de Bord. Ces précieux carnets sont de nos jours conservés par l'English Heritage à Down House. Leur première édition complète date de 2009 (Chancello & van Wyhe, Cambridge University Press). Ils sont aujourd'hui disponibles en version numérique sur Darwin Online.

Au total, Darwin remplit quinze carnets au cours de son Voyage. Il existe trois autres carnets à Down House, mais postérieurs au Voyage. Enfin, comble de malchance, le Carnet des Galapagos a été perdu ans les années 1980, probablement volé à Down House. Si une copie sous microfilms permet d'en conserver la trace, c'est une perte inestimable pour l'Histoire des Sciences. Notez cependant que deux carnets de notes de Darwin, les carnets "B" et "C", sont réapparus en 2022 après avoir été égarés de la Bibliothèque Universitaire de Cambridge, en 2001. On suppose qu'ils furent dérobés pendant ces deux décennies par un mystérieux collectionneur, qui les rendit en bon état dans un sac cadeau rose, avec une enveloppe souhaitant « Joyeuses Pâques » aux bibliothécaires de Cambridge.

Mais revenons aux Carnets de terrain du Voyage (1831 - 1836). Leur existence publique est connue depuis la préface de Nora Barlow (petite-fille de Darwin) dans la première édition du Journal de Bord de Darwin (1933). En en publia par la suite des descriptions assez détaillées dans son ouvrage Charles Darwin and the Voyage of the Beagle (1945). Nora Barlow fut la première à étudier ces carnets, dont elle rapporte l'écriture complexe à déchiffrer, l'accumulation de petits détails du quotidien et de préparatifs d'expédition, les pensées fugaces annotées au crayon. Elle-même avoua n'en avoir exploité qu'un dixième, laissant de côté les nombreuses spéculations géologiques de son grand-père. Barlow écrivait avant tout pour le grand public. Nora Barlow était une généticienne botaniste, qui fit de son mieux pour percer les prises de notes géologiques de son illustre grand-père. Mais comme elle le reconnut, elle échoua à retranscrire certaines pages des plus indéchiffrables !

Et pourtant, l'étude des Carnets de terrain montre que le jeune Charles Darwin se considérait durant le Voyage avant tout comme un géologue; point de vue qu'il conserva quelques années encore après son retour. Plus qu'une simple habitude de terrain, Darwin considérait ses carnets comme le fondement même de la méthode scientifique sur le terrain. « Que la devise du collectionneur soit : "Ne faites pas confiance à la mémoire" ; car la mémoire devient un gardien capricieux lorsqu'un objet intéressant est remplacé par un autre encore plus intéressant » écrit-il en 1839 dans son Journal of Researches (première édition du Voyage d'un naturaliste autour du Monde). Il en fit même un précepte gravé dans le marbre, lors de sa contribution au Manuel de l'Amirauté (1849) :


« [Un naturaliste] devrait prendre l'habitude d'écrire de très nombreuses notes, non pas toutes pour les publier, mais pour se guider. Il devrait se souvenir de l'aphorisme de Bacon selon lequel la lecture fait un homme complet, la conférence un homme prêt et l'écriture un homme exact ; et aucun adepte de la science n'a plus besoin de prendre des précautions pour atteindre l'exactitude ; car l'imagination a tendance à se déchaîner lorsqu'elle traite de masses de vastes dimensions et d'un temps presque infini ».


La lecture des Carnets de terrain de Darwin demeure un difficile. De petite taille, ils sont recouverts d'inscriptions et de dessins. Darwin pouvait très bien poursuivre ses prises de note ultérieures sur un précédent carnet, sans aucune explication. Aussi leur suivi chronologique est complexe. Le style est télégraphié, rempli de codes typographiques personnels. Bien évidemment, Darwin n'écrivait que pour lui-même ! Outre une écriture griffonnées, ils contiennent pas moins de 300 croquis et gribouillages. Il manque parfois des pages, découpées par Darwin lui-même. Leur conservation représente un enjeu crucial, car de ce matériel papier jaillira la certitude d'une modification longue et graduelle aussi bien des paysages géologiques que des espèces ayant vécu sur Terre.

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