[1835] A la rescousse du HMS Challenger
Le 4 juillet 1835, Darwin rembarque à bord du HMS Beagle dans le port de Copiapo. Sur place, il apprend que le capitaine FitzRoy est absent depuis plusieurs semaine, le lieutenant Wickham assure temporairement le commandement. Le capitaine a quitté son poste depuis mi-juin et la dernière escale du Beagle à Valparaiso pour prêter secours à son ami le capitaine Seymour, dont son navire le HMS Challenger s'est échoué sur les côtes d'Araucanie ! Une situation dangereuse pour nos marins britannique, puisque les Mapuches de ce territoire autonome pourraient considérer leur présence comme une agression territoriale.
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Le HMS Challenger, quittant Portsmouth en 1827 |
Le HMS Challenger était une frégate de sixième rang, sortie du chantier naval de Portsmouth en 1826. Ce voilier de 600 tonneaux mesurait plus de 38 mètres de long. Mis en service en 1827, il comptait 175 hommes d'équipage et 28 canons. Notez que huit navires de la Royal Navy portèrent ce nom au cours de l'histoire maritime; néanmoins il n'existe aucune ambiguïté pour retrouver notre frégate, puisqu'une seule portait ce nom en 1835 ! Le HMS Challenger connut une courte mais riche carrière. Sous le commandement de Charles Fremantle, elle participa à la création de la colonie de Swan River, en Australie occidentale (1829). Lors de l'annexion britanniques des îles Malouines, le navire dépêché sur place dès janvier 1834 avait pour mission de rétablir l'autorité britannique après la révolte des Gauchos. Affectée à la côte pacifique dans les mois qui suivirent, elle fut définitivement perdue le 19 mai 1835.
En ce jour funeste, la frégate, sous le commandement du capitaine Michael Seymour, fit naufrage au large de l'île Mocha, devant les côtes d'Araucanie. Deux hommes d'équipage périssent durant la tragédie. Le navire, s'est échoué sur un haut-fond rocheux. L'équipage l'en dégage, mais une voie d'eau le condamne à couler malgré la mise en service des pompes. Heureusement, le bâtiment en perdition s'échoua sur un banc de sable peu profond face au continent. Le capitaine ordonna alors d'abandonner le navire et d'établir un campement temporaire sur la terre ferme. Mais la mer démontée perturba les opérations, et plusieurs membres d'équipage se noyèrent lorsque leurs annexes chavirèrent.
Malgré cela, les survivants parvinrent à sauver une quantité considérable de provisions. L'aide chirurgien et un commis furent dépêchés jusqu'à Concepción. Alerté, le vice-consul britannique Rouse prit la tête d'un groupe de secours. Sur place, une foule d'Araucaniens s'était rassemblée devant le campement. Le capitaine Seymour, inquiet pour leur sécurité, dut prendre une décision radicale. La côte accueillant les naufragés étant impraticable pour les navires, aussi ordonne-t-il d'établir un nouveau campement à l'embouchure du fleuve Lebu. Le vice-consul se résout à rester sur place, prisonnier de la situation. Depuis son nouveau refuge, le capitaine lança une autre expédition vers Concepción, afin de faire venir un navire à même d'évacuer les hommes. Le lieutenant Collins fut chargé de cette missions. Mais la ville se relevait encore lentement du tremblement de terre du 20 février dernier. Il ne trouva qu'un sloop, en piteux état, bien incapable de prendre la mer !
Fort heureusement, nos marins naufragés purent compter sur l'aide du capitaine FitzRoy ! Alors que le HMS Beagle est sur le point de quitter Valparaiso le 14 juin 1835, un marchand britannique reçut une lettre mentionnant le naufrage et se précipita pour en faire part au capitaine. Le même jour, un navire suédois rapporta avoir aperçu un « grand américain » en difficulté près de l'île Mocha. Interrogeant le capitaine suédois, FitzRoy est convaincu que ce navire en péril n'est autre que le HMS Challenger, commandé par son grand ami le capitaine Seymour. Aussitôt, il se rendit au consulat britannique et prit connaissance des dépêches signalant le naufrage. « Peu après l'arrivée du Beagle à Valparaiso, la nouvelle est arrivée que le HMS Challenger avait été perdu à Arauco, et que le capitaine Seymour, un grand ami de FitzRoy, et son équipage étaient dans une situation difficile parmi les Indiens » Correspondance de Charles Darwin à sa sœur, Caroline Darwin, juillet 1835.
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Le naufrage du HMS Challenger, gravure de l'ouvrage "The tragedy of the seas; or, Sorrow on the ocean, lake, and river, from shipwreck, plague, fire and famine" (1848) |
Même notre intrépide capitaine FitzRoy ne peut agir de son propre chef. Il doit respecter la chaîne de commandement locale et laisser la main pour cette opération de sauvetage au commodore Francis Mason, haut gradé de la station d'Amérique du Sud de la Royal Navy. Marquons une courte pause dans notre récit pour revenir sur quelques détails qui nous aiderons à mieux comprendre les événements suivants. Le commodore Mason n'était pas à proprement parler le commandant en chef de la formation sud-américaine de la Royal Navy. Il avait certes occupé temporairement ce poste à la mort du Contre-Amiral Seymour (à ne pas confondre avec le capitaine du HMS Challenger !) entre juillet et septembre 1834, mais juste le temps d'assurer l’intérim avant la prise de poste du Vice-amiral Graham Hammond. A vrai dire, Mason semble être un second dans la chaîne de commandement. Mais en ce mois de juin 1835, l'opération de sauvetage dépend uniquement de son autorité, et à en croire Darwin, l'homme ne montre guère d'enthousiasme à la tâche !
« Le vieux commodore qui se trouvait sur le Blonde était d'une telle paresse dans ses décisions ; en bref, il craignait d'atteindre cette côte sous le vent en hiver ; de sorte que le capitaine FitzRoy a dû le bousculer et lui a finalement proposé de l'accompagner pour lui servir de pilote » Correspondance de Charles Darwin à sa sœur, Caroline Darwin, juillet 1835. Le commodore Mason opère depuis son propre bâtiment, la frégate de cinquième rang de 46 canons HMS Blonde. Ce n'est pas un homme très entreprenant, dirons-nous, que l'hiver dans l'hémisphère sud suffit à démotiver. Et qu'importe si un équipage britannique est sous la menace Mapuche ! Le capitaine FitzRoy reprend longuement l'aventure de ce sauvetage dans ses Narratives (1839), aussi nous nous contenterons d'en résumer l'essentiel. Le HMS Blonde fit voile jusqu'à Concepción, puis le capitaine FitzRoy conçut le plan suivant. Un bac, loué sur place et sous la responsabilité de Mason, et une expédition terrestre menée par FitzRoy, rallieront le nouveau campement des rescapés du Challenger. A charge du premier arrivé de porter secours aux naufragés. Mais le commodore Mason loua sa barque hors de prix (était-ce le fameux sloop en mauvais état ?), qui plus est avec un équipage local incompétent, et malgré les indications du lieutenant Collins, ils ratèrent l'emplacement du campement ! FitzRoy dut mener les négociations avec les Caciques Mapuches, tout en veillant à ce que le commodore Mason mène bien l'évacuation des naufragés et du vice-consul par voie maritime. Fidèle à son tempérament, FitzRoy n'eut cure de son grade subalterne pour vertement tancer le commodore : « On apprit qu'ils réussirent à sauver presque tout le monde, mais que le capitaine et le commodore eurent une terrible dispute ; Le premier ayant fait au vieux commodore une allusion à une cour martiale pour sa lenteur » Correspondance de Charles Darwin à sa sœur, Caroline Darwin, juillet 1835.
Une fois le HMS Blonde de retour à Copiapo, le capitaine FitzRoy reprit le commandement du HMS Beagle. Le capitaine Seymour ne fut en rien accusé du naufrage de sa frégate, et son ami FitzRoy proposa même que l'incident put être lié à un brusque changement des courants marins suite aux séismes du 20 février. L'Amirauté accepta cette version des faits. Toujours est-il que l'équipage du Challenger fut ramené en Angleterre le 22 juillet depuis Coquimbo par le HMS Conway. L'amiral Seymour acheva sa carrière après un brillant service actif durant la seconde guerre de l'opium. De même que le vice-amiral Mason en tant que commandant de la flotte méditerranéenne. Quant au futur vice-amiral FitzRoy, en ce mois de juillet 1835, il demeure le capitaine du HMS Beagle en route vers le Pérou !
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