[1835] Darwin en Araucanie

Le 11 février 1835, Darwin entame une courte randonnée à cheval aux alentours de Valdivia. Il y a fort à parier qu'il est accompagné d'un guide et de son jeune assistant, Syms Covington. La première journée demeure assez banale à ses yeux. Certes, Darwin retrouva sûrement avec plaisir la terre ferme, mais la forêt parcourue une fois les terres défrichées franchies reste assez similaire à Chiloé. A peine remarque-t-il que la végétation est plus verte, ce qui serait lié, selon lui, à la latitude plus proche du Tropique du Capricorne. Les longues tiges de Poacées arbustives l'intéressent, et Darwin note que les Amérindiens les utilisent pour fabriquer leurs Chusas, ou longues lances effilées. Le soir, leur gîte est si sale qu'il préfère dormir à la belle étoile ! Les puces ne manquent pas de le dévorer, et au matin, « il n’y avait pas un shilling sur mes jambes qui n’ait sa petite marque rouge là où une puce s’était régalée » ! (ci-contre : carte de la région d'Araucanie, 1870. Darwin n'eut occasion de visiter que les territoires au Sud de ces frontières).

Poursuivant l'aventure au 12 février, les cavaliers traversent une forêt non défrichée. Quelques natifs parcourent le chemin à cheval, des mules se chargent de transporter leurs marchandises. Les boisements intéressent bien plus Darwin, qui ne peut s'empêcher de penser aux écrits de Humboldt sur la région. Il est question d'interpréter les forêts en fonction du biotope, science écologique encore très balbutiante pour l'époque, mais riche de promesses. Pour autant, Darwin n'en est pas encore à ses réflexions dans « L'Origine des Espèces ». A ce stade, il se contente de relier l'humidité comme facteur d'ouverture des plaines du Chili, laissant les espèces végétales se répartir de manière assez fixiste, sans penser le moins du monde à une possible adaptation de ces dernières ! Le soir, ils s'arrêtent à la Mission de Cudico, le moine les accueille grâce à la lettre d'introduction qu'il porte à son attention.

La Mission a pour but de christianiser les tribus amérindiennes alentours. Ce qui semble chose quasiment faîte dans la région de Valdivia. Les 26 tribus et leurs chefs Caciques sont particulièrement bien assujetties aux autorités locales, et ce depuis les Espagnols. Certains ont même combattu pour ces derniers, et touchent encore aujourd'hui une petite pension de 30 dollars par an (6 livres sterling). Il s'agit avant tout d'acheter leur loyauté. Sont-ce de bons Chrétiens ? Pour le jeune Darwin, alors très croyant et venant de terminer ses études de théologie, la question a son intérêt. « Le Padre dit que les Indiens n'aiment guère venir à la messe, mais montrent par ailleurs beaucoup de respect pour la religion » Charles Darwin, Journal de Bord. Notre jeune naturaliste tente bien de dresser un portrait de ces tribus amérindiennes, mais il résume ses notes à la polygamie des Caciques et l'ivrognerie de leurs tribus. Il semblerait que Darwin ait rencontré des Mapuches et des Puelches. Mais comme trop souvent, Darwin se limite à des sources secondaires, des témoignages en espagnol mal traduit, et ne prend guère le temps d'interroger directement les Amérindiens qu'il rencontre.

Pour autant, il rend hommage à ces « Indiens du Nord » encore « très sauvages et non convertis ». Et pour cause ! Il se rapproche de l'Araucanie, célèbre territoire resté farouchement indépendant face aux Conquistadores ! « L'indépendance donc ces Indiens font preuve dans leur conduite est probablement la conséquence des longues guerres victorieuses qu'ils ont menés contre les Espagnols ». De guerres en rébellions, l'Araucanie ne fut jamais pacifiée par les vice-rois d'Espagne, et même après l'indépendance, le gouvernement chilien dut composer non sans mal avec ce territoire sous contrôle amérindien ! Or si Darwin se contente par la suite de bavarder avec son hôte ecclésiastique, il ne relate quasiment rien sur cette formidable région d'Araucanie, ni dans son « Journal de Bord », ni dans son « Voyage d'un Naturaliste autour du Monde ». A peine apprend-on que « bonjour » se dit « Mari-Mari », tout comme chez les Indiens de Chiloé.


Dessin représentant des Mapuches, par Giulio Ferrario, publié à Milan en 1827.


Et pourtant en 1835, l'Araucanie est encore un territoire hostile, farouchement défendu par les Mapuches Araucans, c'est pourquoi Darwin ne s'y aventurera pas. La zone restera sous contrôle des Caciques jusqu'aux alentours de 1850. Il n'y aura jamais de victoire finale des Européens, mais une lente (et violente) assimilation. En 1860, le français Antoine de Tounens conçoit même le projet de fonder un Royaume d'Araucanie et de Patagonie. Profitant d'une légende indienne qui prophétise qu'un chef blanc libérera les Mapuches du joug européen, il parvient à se faire élire chef de guerre suprême et leur promet des armes. Finalement arrêté par les troupes chiliennes le 5 janvier 1862, Antoine de Tounens est d'abord jugé fou et enfermé dans un asile, avant que le Consul général de France ne le tire de ce mauvais pas. De retour en Europe, lance une souscription en faveur de son royaume. Mais il ne trouva que moquerie et dédain. L'occupation d'Araucanie par les troupes chiliennes s'engage alors, non sans plusieurs campagnes militaires. Début XXème, le territoire est désormais sous contrôle chilien, mais demeure très peu sécurisé. Il faudra attendre la fin du siècle, mais l'esprit Mapuche est-il pour autant éteint ? La seconde moitié du XXème siècle relance les tensions. Les natifs amérindiens tirèrent bien profit de la redistribution des terres lors de la réforme agraire de Salvador Allende, mais ce droit leur fut confisqué sous Pinochet. Cet épisode n'a pas manqué de réveiller les vieilles contestations :la nouvelle génération Mapuche connaissait aujourd'hui un sursaut politique et culturel. Des manifestations violentes et des incendies volontaires ont conduit fin 2021 le gouvernement chilien à la militariser de nouveau la région. Les exactions des forces de l'ordre chiliennes faisant couler de nouveau le sang Mapuche ...


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