[1834] Chroniques d'un voyage en Patagonie

Durant ce mois de février 1834, le HMS Beagle poursuit sa mission de cartographie du détroit de Magellan et de la grande île de la Terre de Feu. Darwin, bien entendu, nous livre dans son Journal de Bord un récit de ces journées passées aux confins de la Patagonie. Divers événements marquants s'y déroulent, et qui mériteront des billets plus détaillés à l'avenir. Mais revenons ici sur les grandes lignes de ce récit.

Le 11 février 1834, le Beagle croise une goélette de chasseurs de phoques. Les marins à son bord leur rapportent le soulèvement des Gauchos aux Malouines, événement majeur de la prise de possession de l'archipel par la Royal Navy sur lequel nous ne manquerons pas de revenir. Darwin aborde quelque peu la rude vie de ces phoquiers. Et bien que cette activité nous semble de nos jours moralement inacceptable, revenons quelque peu sur ces marins qui menèrent une existence certes lucrative, mais terriblement dangereuse. Ainsi parmi l'équipage de phoquiers rencontré ce jour même, deux hommes furent abandonnés sur un rocher à leur triste sort lorsqu'une tempête arracha tous les canots à leurs amarres.

Ne nous y trompons pas, les peuplades amérindiennes d'Amérique australe pratiquaient eux aussi la chasse au phoque et troquaient les fourrures avec les Européens. Mais l'activité économique débute véritablement en 1521, lorsque les colonies espagnoles d'Uruguay commencent à renvoyer des peaux vers la métropole. A la fin du XVIIIème siècle, les phoquiers engagent d'intenses campagnes de chasse en Amérique du Sud. En 1778, les phoquiers anglais rapportèrent ainsi de Géorgie du Sud et du détroit de Magellan pas moins de 40.000 peaux de phoques et 2800 tonnes d'huile d'éléphant de mer ! En 1791, on estime que pas moins de 102 navires d'un tonnage de 200 tonnes pour un équipage total de 3000 marins écumaient l'océan austral ! Les prélèvements furent si nombreux que les populations de Pinnipèdes chutèrent, au point que dans les années 1830 cette chasse était sur le déclin.


Chasse au phoque au Canada, gravure de 1880 (illustration)

Le 12 février 1834, retour à Bahia San Gregorio dans la portion orientale du détroit de Magellan. Le Beagle établit un contact avec des Selknams. Darwin, qui n'est pas du tout versé dans l'ethnologie des peuplades amérindiennes d'Amérique du Sud, ne manque pas pour autant de correctement différencier ces hommes des Fuégiens présents sur les îles méridionales de la Terre de Feu. et avec raison ! Les Selknams était en quelque sorte une lignée méridionale des Tehuelches qui avaient pris pied sur la grande île de la Terre de Feu depuis le XIVème siècle, chassant les tribus Yagans (ou yamanas) et Alakalufs vers les côtes méridionales et occidentales de la Terre de Feu. Il s'agit bien des fameux "hommes mauvais" que Jemmy Button et York Minster tenaient en horreur, incitant même le capitaine FitzRoy à tirer sur eux au canon lors du précédent voyage du Beagle en Terre de Feu, en décembre 1832 ! Jemmy Button parlait d'eux en les appelant les "hommes d'Owen". "Quand la feuille est rouge" disait-il, "les hommes d'Owen franchissent les collines et combattent très fort". Ce qui était de toute évidence un proverbe relatant la sinistre mémoire des raids guerriers saisonniers des Selknams en territoires Yagans.


Peuples amérindiens d'Amérique patagonne. Crédits : wikipedia

Aussi le 13 février 1834, l'équipage du Beagle rend visite à ces Selknams dans l'espoir de se procurer de la viande de guanaco. Les indiens se montrent très courtois, nous apprend Darwin. Ce qui signifie probablement que le troc fut couronné de succès. Ils rencontrent parmi ces hommes un uruguayen pari vivre parmi eux depuis quatre ans et qui s'est marié à une autochtone. Darwin est fasciné par les facultés linguistiques des amérindiens. Il faut dire que le nombre impressionnant de dialectes locaux est un excellent exercice pour apprendre rapidement des rudiments de langues même très éloignées des leurs, comme l'anglais ou l'espagnol. Le brick-sloop reprend ensuite son travail d'exploration.


Portrait d'un Selknam, fin janvier 1834, par Conrad Martens


Du 14 au 21 février 1834, le HMS Beagle entame une cartographie approfondie de la côte orientale de la grande île de la Terre de Feu. Dans la baie San Sebastian, l'équipage observe le magnifique spectacle d'un rassemblement de Baleines à Spermaceti (Cachalots ?) jaillissant de l'eau à la verticale. A l'extrémité orientale de l'île, entre Bahia Thetis et Cabo San Diego, l'équipage parti à terre croise des Mánekenks, une peuplade amérindienne exclusivement terrestre et habiles chasseurs de guanacos. D'après leurs coutumes, il étaient eux aussi apparentés aux Selknams et donc aux Tehueches. Darwin a donc tout à fait raison d'hésiter à les désigner "Fuégiens" ou "Patagoniens" ! Malgré ses jugements peu flatteurs envers ces peuplades amérindiennes, son regard exercé aurait fait de notre jeune naturaliste un parfait ethnologue de terrain. Dès lors au 22 février 1834, le HMS Beagle double le Cap San Diego et passe devant la terre des Etats, épine dorsale montagneuse s'enfonçant dans l'Atlantique. Ces observations ne font que confirmer le portrait que dresse Darwin de l'extrémité méridionale du continent américain, sorte de colonne vertébrale des Andes s'achevant dans l'océan. Il ne reste plus qu'à poursuivre le récit vers l'île Wollaston, en Terre de Feu, que le Beagle atteint au 24 février 1834.

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