[1834] Port Famine, une destination tragique en Patagonie

Le 2 février 1834, le HMS Beagle entre de nuit dans Port Famine après une journée de navigation particulièrement calme. Ce site, déjà lourdement chargé d'histoire lors de la visite de Darwin, est aussi inhospitalier que son nom l'indique. Et si notre jeune naturaliste ne s'attarde que très peu sur l'historique de ce site dans son Journal de Bord, c'est probablement en raison du terrible désespoir qui s'abattit à plusieurs reprises sur ses visiteurs.


La côte patagonne vue de Port Famine (crédits : https://www.monumentos.gob.cl)

Paysage magnifique mais des plus démoralisants comme il ne nota au 1er juin 1834, Port-Famine demeure pour les navigateurs d'Amérique du Sud une destination plus désespérée qu'hospitalière. Dans son ouvrage Voyage d'un naturaliste autour du Monde, Darwin se montre un peu plus prolixe sur ce site à la sinistre réputation. « Le nom seul de Port-Famine suffit pour indiquer quelles furent les souffrances de plusieurs centaines de malheureux dont il ne resta qu’un seul pour raconter les infortunes ». Alors que le HMS Beagle revint mouiller au début du mois de juin 1834 dans cette baie déserte, il croise le long des côtes patagonnes deux vagabonds que le capitaine recueille à bord. Ce sont deux marins ayant déserté un baleinier pour vivre avec les Fuégiens. Ces derniers les traitèrent avec bienveillance, mais séparés d'eux par accident, ils espéraient y trouver un quelconque bâtiment pour s'abriter.

Leur rencontre avec le Beagle est donc providentielle, car il ne demeure à Port Famine que des ruines éparses du malheureux établissement des premiers colons. La tentative de 1584, menée par l'amiral espagnol Pedro Sarmiento de Gamboa, se solda par un terrible échec. Lors de son départ de Cadix, il commande une flotte de 15 navires et 3000 civils & militaires, avec l'objectif de coloniser et fortifier le détroit de Magellan. Mais suite à divers naufrages, mutineries et pertes humaines, seulement 8 navires arrivent à destination le 2 février 1584. Originellement, Gamboa souhaitait établir sa colonie au Cap Virgenes, marquant l'entrée orientale du détroit de Magellan. Mais estimant le site peu sûr, il décide d'établir la colonie sur la péninsule de Brunswick, dans la portion occidentale du détroit.

Le camp fortifié, baptisé Ciudad del Rey Don Felip, compte 183 soldats, 68 hommes, 13 femmes et 11 enfants. Les conditions vont s'y révéler particulièrement désastreuse. La terre est incultivable, le climat inhospitalier, la famine ravage la colonie et les maladies achèvent les survivants. Abandonnés par la métropole espagnole, les colons sombrent dans le désespoir. En 1586 lorsque le navigateur anglais Thomas Cavendish retrouve 18 survivants dans les ruines du fort, il renomme aussitôt le lieu Puerto del Hambre. Un seul survivant, Tomé Hernandez, accepte que le navigateur le ramène en Europe. Il témoigna du désastre de la colonie lorsqu'il se rendit en 1620 à Santiago de Chile, sur ordre du Vice-roi du Pérou.

Port Famine n'en avait pas pour autant fini de jouer avec le destin des Hommes. Lors de la première expédition du HMS Beagle en Amérique du Sud, le brick-sloop cartographie le détroit de Magellan. Mais alors que le navire mouille à Port Famine en août 1828, son capitaine Pringle Stokes sombre dans une profonde dépression et finit par mettre fin à ses jours dans sa cabine. Le HMS Beagle retourne à Rio de Janeiro sous le commandement temporaire du Lieutenant Skyring. Le contre-Amiral Otway nomme sur place le Lieutenant Robert FitzRoy comme capitaine temporaire du Beagle. Le jeune commandant fait voile ensuite vers la Patagonie afin que le navire et son équipage puissent poursuivre sa mission hydrographique. C'est le début de la longue épopée de FitzRoy en tant que commandant du Beagle.

L'histoire de Port Famine s'écrit aussi sur les tombes de son cimetière. Outre celle du capitaine Stokes, les rares visiteurs peuvent y trouver celle de Clovis Gauguin, proscrit politique français et père du célèbre peintre Paul Gauguin. Et pourtant, malgré la terrible réputation du site, Port Famine fit l'objet de revendications politiques. Le 21 septembre 1843, la goélette chilienne Ancud prend possession des ruines et marque les revendications territoriales du Chili sur le détroit de Magellan. Le site attira même des immigrants allemands en 1843 ! Mais la fondation plus au nord de Punta Arenas, en 1848, acheva définitivement toute tentative de colonisation. Une stèle marque désormais le souvenir tragique des premiers colons espagnols qui dépérirent sur place.


Portrait du capitaine Pringle Stokes et photographie de sa tombe à Port Famine

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