Fuegia - Eduardo Belgrano Rawson

Darwin n'aimait guère les romans dramatiques. Mais peut-être aurait-il été sensible au roman-documentaire de l'écrivain argentin Eduardo Belgrano Rawson. Dans Fuegia, récit crépusculaire du génocide des Fuégiens en Terre de Feu, Rawson crée un lien avoué avec les quatre amérindiens capturés par le Capitaine FitzRoy en 1830. Leur calvaire, et le retour des trois survivants lors de la seconde expédition du HMS Beagle, résonne comme un prélude au déclin des Fuégiens. Pour Darwin qui bien maladroitement s'intéressa à ces peuplades amérindiennes, le parallèle aurait-il été aussi clair ? Ou bien sommes-nous comme Fabien Grolleau et Jérémie Royer tentés de créer ce lien entre le jeune naturaliste et l'énigmatique Fuegia Basket ?

Mais au-delà de sa dédicace en forme d'épitaphe, Fuegia est avant tout un roman funeste, dont l'atmosphère oppressante exprime l'inexorable éradication des Amérindiens de Terre de Feu. Deux mondes s'affrontent, l'un incarné par les Fuégiens, l'autre par les colons occidentaux. Dans ce choc brutal de civilisations, les dés ont été lancés depuis longtemps, pipés d'avance. Les épidémies, la traque des chasseurs de phoques, et maintenant l'extermination organisée par les éleveurs de moutons, la machine génocidaire s'ébranle, inexorablement. A mesure que le roman nous emmène d'un personnage à l'autre, d'un monde à l'autre, d'une région à l'autre, les mâchoires se referment sur la proie. Les Fuégiens sont vaincus; leurs âmes, leurs corps, leurs sexes mêmes sont profanés. Il n'y a nul espoir, et le lecteur le comprend douloureusement.

En ce début de XIXème siècle, FitzRoy et Darwin croyaient naïvement que les missions évangélistes permettraient de sauver les Fuégiens de leur états sauvages. Une interprétation civilisationnelle dominatrice propre à leur époque, mais paradoxalement teintée de philanthropie. Darwin, bien qu'athée dans la seconde moitié de son existence, eut à cœur de toujours soutenir les missions évangéliques en Terre de Feu. Comme une réponse à cet enthousiasme, Rawson dépeint avec cynisme la déroute de ces établissements. Le Dieu des hommes blancs ne peut rien face à leur cruauté, ils ne savent que tuer, détruire, exterminer, ils ne savent que formater ce monde nouveau pour leur logique occidentale. Et le monde s'appauvrit de leur violence.

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