Darwin - Christian Clot & Fabio Bono

Bande-dessinée en deux tomes parue en 2016 dans la collection Explora (aux éditions Glénat), « Darwin » propose au lecteur une plongée dans la genèse de la plus grande révolution de la biologie moderne : celle de la théorie de l'évolution des espèces par la sélection naturelle. Depuis son Voyage autour du Monde à bord du HMS Beagle jusqu'à sa paisible retraite de Down House, nous marchons dans les pas de Charles Darwin, naturaliste de génie, qui par ses brillantes observations va bousculer la doctrine religieuse établie d'une création immuable de la Nature.

Courte série en deux volumes de Christian Clot (scénariste) & Fabio Bono (dessinateur), « Darwin » se veut une fresque biographique mêlant découverte scientifique et récit d'exploration. En deux albums, nous avons là assez de planches pour développer un « Journal de Bord » illustré du célèbre voyage. Mais également d'aborder les circonstances qui amenèrent un jeune diplômé en théologie à rejoindre une mission d'exploration de la Royal Navy ! Le voyage ne sera pas de tout repos. Très vite, Darwin rentre en rivalité avec Robert McCormick, naturaliste-chirurgien à bord du HMS Beagle. Enfin, ses relations avec le bigot Capitaine FitzRoy se détériorent alors que Darwin entrevoit l'idée d'une transformation héréditaire des espèces vivants. Mais un lourd secret vient entacher le voyage, si lourd que bien des années plus tard, alors que Wallace s'apprête à publier une théorie similaire, Darwin se refuse à réclamer la paternité de ses découvertes …

« Darwin » se présente donc comme un récit dramatique et biographique, mêlant les destins personnels de ses protagonistes à la grande histoire des sciences naturelles. Le récit se veut précis, intimiste même, et abonde de détails comme de références que le lecteur averti aura plaisir à reconnaître. Cependant, « Darwin » n'est pas un récit biographique exact. Et ses auteurs ne s'en cachent nullement ! S'ils cherchent à vulgariser cette grande aventure scientifique et humaine que fut l'expédition du HMS Beagle, ils n'hésitent pas à rajouter de nombreux éléments romanesques, surjouant des rapports conflictuels entre les personnages de Charles Darwin, Robert McCormick et Robert FitzRoy. Le premier tome accorde d'ailleurs beaucoup trop d'importance au rôle de McCormick, qui contrairement à une rumeur tenace, n'a jamais été le naturaliste officiel de l'expédition ! Les rapports entre Darwin et FitzRoy, bien que parfois orageux, sont également dramatisés à l'extrême ; jamais les deux hommes ne s'opposèrent sur le terrain de l'évolution des espèces au cours du voyage ! En réalité, seule la question de l'esclavage provoqua quelques échanges houleux entre les deux hommes, et jamais ils ne s'opposèrent sur la religion. A vrai dire, Darwin était même plus bigot que FitzRoy au début du voyage !

Enfin, la série propose d'inscrire son fameux dessin d'un arbre phylogénétique précédée de la mention « I think » en plein cœur du voyage à bord du Beagle. Un choix purement personnel des auteurs puisque cette célèbre page de son carnet sur la « Transmutation des Espèces » date de 1837, soit un an après son retour en Angleterre. D'ailleurs, il n'y avait aucune chance qu'il entame ce carnet vers 1835 au large des côtes chiliennes, comme le suggère la bande-dessinée. Ce qui demeure regrettable, car comme l'écrivit Patrick Tort dans la préface du Journal de Bord de Charles Darwin (éditions Honoré Champion), notre jeune naturaliste ne conçut nullement l'hypothèse d'une transformation des espèces au cours de son voyage autour du Monde ! Cette idée, nourrie il est vrai en grande partie de ses nombreuses collectes et observations sur le terrain, mûrit bien après son retour en Angleterre. En réalité, Darwin s'intéressa bien plus à la géologie qu'à la biologie tout du long de son voyage, et ses premières publications scientifiques, de retour de son tour du Monde, se focalisèrent avant tout sur l'interprétation géologique de ses relevés terrain. Il est donc quelque peu anachronique de positionner la genèse de sa théorie de la sélection naturelle à ses collections de fossiles et de spécimens vivants, même si la Zoologie de l'expédition eut par la suite un impact considérable lors de la rédaction de « L'Origine des Espèces » !

En conclusion, « Darwin » n'est pas une mauvaise série, loin de là. Mais son scénario largement romancé (flirt précoce avec Emma Wedgwood), échauffourées avec McCormick et FitzRoy, « serment » fait au Capitaine, suicide de FitzRoy implicitement attribué à « L'Origine des Espèces » …) dénote de trop avec le récit historique réel ; au point de me laisser plutôt songeur. Si la série BD trouve sans problèmes son public, elle prend malheureusement trop de libertés scénaristiques. Un choix également présent dans la bande-dessinée « HMS Beagle, Aux origines de Darwin » mais que Fabien Grolleau a peut-être moins alourdi dans son scénario. Toujours est-il que le lecteur reste juge, et que chacun aura à cœur de se forger sa propre opinion en lisant ces deux magnifiques tomes « Darwin » aux éditions Glénat.

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