[1834] Le gros chat de la Pampa

 Ils sont les maîtres du web, dominent nos foyers et président certainement à la destinée humaine. Qui donc ? Je veux parler des chats, bien entendu ! Et ne nous y trompons pas, point de discours complotiste ici. Juste quelques vérités que vous connaissez déjà, les chats dirigent ce monde, c'est une évidence ! Or Darwin lui-même s'intéressa à la gente féline. Il tenait bien entendu dans sa correspondance des discours moins alambiqués que les miens, mais le chat fascina aussi le grand naturaliste.

Et durant son Voyage à bord du HMS Beagle, les escales terrestres furent l'occasion pour le jeune homme d'étudier d'autres espèces de chats que notre fameux Felix sylvestris catus. Dans les fascicules de Zoologie publiés à partir de l'étude de ses observations et spécimens rapportés, George Waterhouse s'intéresse à plusieurs espèces de petits Félins. Parmi les membres du genre Felis sp. selon les critères taxonomiques du début du XIXème siècle, citons le Puma (Puma concolor), le Jaguarondi ou Chat-loutre (Herpailurus yagouaroundi), le Chat domestique (Felix sylvestris catus), et enfin le Chat de la Pampa (Leopardus pajeros). Vous l'aurez compris, les noms binominaux sont donnés selon la classification actuelle.


Chat de la Pampa (Leopardus pajeros). In :Zoologie du voyage du H.M.S. Beagle (1839).


Intéressons-nous dans cette liste à un discret félin, qu'un coup de fusil terrassa fin avril 1834 le long du Rio Santa-Cruz. Le chat de la pampa (Leopardus pajeros) fait partie des Félins les plus discrets au monde, à tel point que nous ne savons que peu de choses sur son comportement. Déjà du temps de Darwin, il intriguait les zoologistes ; Waterhouse allant jusqu'à le comparer à notre Chat sylvestre européen (Felis silvestris silvestris).

Pour autant, l'animal possède ses propres particularités, et fort des observations du spécimen tiré lors de l'expédition du Beagle, Waterhouse n'est pas avare de détails. « Le caractère le plus remarquable de cette espèce réside dans la grande longueur de sa fourrure : les poils les plus longs du dos mesurent plus de trois pouces, et ceux de la partie postérieure du dos mesurent de quatre pouces et demi à quatre pouces et trois quarts de longueur. La couleur générale de la fourrure est gris-jaune pâle. De nombreuses rayures irrégulières jaunes ou parfois brunes courent obliquement du dos le long des côtés du corps. De chaque côté de la face, il y a deux rayures de couleur jaunâtre ou cannelle : ces rayures commencent près de l'œil, s'étendent vers l'arrière et vers le bas sur les joues, sur la partie postérieure desquelles elles se rejoignent et forment une seule ligne qui encercle la partie inférieure de la gorge. Le bout du museau et le menton sont blancs, et il y a une tache devant l'œil et une ligne sous l'œil, de la même couleur ; le ventre et la face interne et la partie postérieure des pattes antérieures sont également blancs. Une ligne noire irrégulière traverse la partie inférieure de la poitrine et s'étend sur la base des pattes antérieures à l'extérieur ; au-dessus de cette ligne se trouvent deux autres marques sombres transversales sur la poitrine, qui sont plus ou moins définies. Sur les pattes antérieures, il y a trois larges bandes noires, dont deux encerclent la patte, et sur les pattes postérieures, il y a environ cinq bandes noires à l'extérieur et quelques taches sombres irrégulières à l'intérieur. Les pieds sont jaunâtres et le dessous du tarse est d'une teinte légèrement plus foncée. Sur le ventre, il y a de nombreuses grandes taches noires irrégulières. Les oreilles sont de taille moyenne, garnies à l'intérieur de longs poils blancs ; à l'extérieur, les oreilles sont de la même couleur que la tête, sauf à l'apex où les poils sont noirs et forment une légère touffe. La queue est courte, un peu touffue et dépourvue d'anneaux ou de taches foncées. Les poils sont en fait de la même couleur que ceux du dos de l'animal. Sur la partie supérieure du corps, chaque poil est brun à la base, puis jaune, et noir à l'apex. Sur la partie postérieure du dos, les poils sont presque noirs à la base, et sur les côtés du corps, chaque poil est gris à la base ; il y a ensuite un espace considérable de couleur blanc jaunâtre ; vers l'apex, ils sont blancs, et à l'apex, noirs. La plupart des poils des moustaches sont blancs » Zoologie du voyage du H.M.S. Beagle (1839).

Pour être plus précis, Darwin collecta deux spécimens de Chats de la Pampa. Un à Santa-Cruz, tué par des membres d'équipage du HMS Beagle lors d'une partie de chasse pour ravitaller l'équipage en gibier. L'autre à Bahia Blanca, lors de son séjour en août 1832. Ce félin tire son nom binominal de paja, qui signifie paille en espagnol, en raison de son habitude à fréquenter les roseaux des zones humides. Sa répartition correspond globalement à la Patagonie et la portion méridionale de la Pampa, ce qui coïncide avec les observations des naturalistes du XIXème siècle.

Son statut de conservation UICN est de nos jours encore non évalué. Il faut dire que que les observations de ce discret félin demeurent rares ; quelques données correspondant aux captures d'images par pièges photographiques. Ses mœurs demeurent toujours aussi peu connues, tout au plus les mammalogistes s'accordent pour le décrire comme un prédateur d'oiseaux et de petits mammifères. La phylogénie du genre Leopardus sp. fait encore débat. Il est cependant fort probable que la spéciation du genre fut liée à la présence d'une mer entre le Myocène et le Pliocène. Cette spéciation allopatrique liée à la présence d'une barrière maritime confire ainsi les propres hypothèses géologiques de Darwin, tout en prouvant au combien l'évolution des espèces se confirme par l'examen des preuves fossiles comme de la biodiversité actuelle.

Quelle belle prise que ce Chat de la Pampa pour Darwin, élément-clé à sa manière de ses hypothèses sur la géologie de l'Amérique du Sud comme sur l'évolution des espèces ! Il pourrait sembler même frustrant que Darwin n'eut guère occasion d'exploiter aussi loin le bénéfice de ces deux prises. Tout comme la méthode ancienne, consistant à tirer au fusil de nouveaux spécimens, nous laissera un certain regret contemporain. Mais il n'en reste pas moins jubilatoire de comprendre, de nos jours, à quel point de félin de la Pampa est tout bonnement une excellente preuve darwinienne s'il en est !

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