[1833] Les étranges jugements politiques de Darwin
Les 3 et 4 octobre 1833, Darwin est souffrant et se repose à Santa Fé. Il parvient cependant à se promener suffisamment pour juger que la ville est propre et bien entretenue. Il se permet même un commentaire politique osé sur le gouverneur Lopez de la province qu'il qualifie de tyran, « ce que les argentins méritent le mieux » selon lui.
Curieux jugement de la part de Darwin, lui qui encensait quelques jours auparavant le tout autant controversé général Rosas. Mais peut-être quelques influences politiques récentes faussent son jugement ? Commençons par présenter succinctement le gouverneur Lopez. Dans son Journal de Bord, Darwin rapporte que Lopez était un simple soldat pendant la révolution de 1810 et qu'il dirige désormais la province de Santa Fe depuis 17 ans maintenant. Mais revenons quelque peu sur le parcours de cette figure de l'indépendance. Le brigadier général Estanislao López (portrait ci-contre) est né en 1786 à Santa Fé. Il prit part à la révolution dès 1811 et suite à divers actes de bravoure, il fut nommé sous-lieutenant. En 1816, il servit comme chef d'escadron de cavalerie. Remarquable officier, il devint rapidement capitaine, puis lieutenant-colonel.
Entre 1818 et 1821, il combattit activement les différentes factions qui s'entre-déchiraient pour le contrôle des Provinces unies du Río de la Plata. Prenant alors le contrôle de la province de Santa Fe, il gouverna son fief dans une paix relative. Jusqu'à ce qu'en 1828, lui et Rosas s'allient contre leur rival politique, le général Juan Lavalle. Les deux alliés de circonstance n'en demeurèrent pas moins de féroces adversaires. Mais alors que la gloire du général de Buenos-Aires s'étendait, l'influence du gouverneur de Sante Fe déclinait. Lopez ne put jamais prendre le dessus face au triomphant Rosas.
Un de ses derniers coups d'éclat politique est contemporain du séjour de Darwin à Santa Fe. En 1833, suite à la prise des îles Malouines par les Britanniques, le gouverneur Lopez condamna vivement l'occupation de l'archipel. Sa requête diplomatique le plaça en défenseur de la Confédération argentine. Mais cette situation politique fort envieuse ne devait pas durer. Dès 1835, il perdit tout influence sur les gouverneurs des provinces de Córdoba et d’Entre Ríos. Ces derniers étaient désormais fidèles à Rosas, l'homme fort de la Confédération argentine. Le gouverneur Lopez abandonna toute prétention nationale, pour finalement succomber de la tuberculose trois années plus tard, à l'âge de 51 ans.
Darwin ne s'attarde guère sur ces détails politiques, mais arrête un jugement étonnamment peu glorieux à l'adresse du gouverneur Lopez. Il fustige ce gouverneur tueur d'indiens, prétend qu'il vend comme esclaves les enfants capturés. Mais que fait d'autre Rosas durant sa Campagne du Désert, si ce n'est organiser lui aussi un vaste génocide amérindien ? Il faut être bien hypocrite pour conspuer Lopez après avoir tant encensé Rosas. Le jugement de Darwin n'est certainement pas équitable, il n'est peut-être tout simplement pas objectif. La faute à divers événements récents susceptibles de l'influencer. Tout d'abord, Darwin n'est pas totalement neutre dans cette querelle des Malouines. Le HMS Beagle effectua durant son second Voyage deux missions de contrôle de cette nouvelle possession britannique. De plus, Darwin a été littéralement ébloui par sa rencontre avec le général Rosas. Il est fort possible que son aversion pour Lopez lui provienne de la rivalité politique entre ces deux hommes. Enfin, Darwin a pu prêter l'oreille aux propos des Gauchos argentins, tous fidèles à Rosas, et certainement prompts à calomnier l'adversaire politique de leur leader, lors des discussions le soir au coin du feu.
Trois explications possibles pour qu'au détours de son Journal de Bord, nous découvrions un portrait aussi peu flatteur du gouverneur Lopez. A moins qu'il ne s'agisse d'une simple coutume anglaise : choisir son camp entre deux figures autoritaires, n'est-ce pas un trait de caractère britannique ?
Commentaires
Enregistrer un commentaire