[1832] Du courrier pour Darwin à poste restante

Le 26 octobre 1832, le HMS Beagle est de retour à Montevideo. Darwin reçoit son courrier qui l'attendait, comme celui de tout l'équipage, à poste restante. C'est un moment de joie pour nos explorateurs de la Royal Navy, qui vont pouvoir retrouver le temps de leur lecture un peu de l'atmosphère de leur si lointain foyer.

Deux lettres et un paquet attendent Darwin. Commençons par ces deux correspondances. Elles sont signées des mains de ses sœurs Susan et Caroline. Charles avait quatre sœurs : Marianne (l'aînée de la famille, mariée à Henry Parker), Caroline (portrait à ci-contre), Susan et Emily. A la mort de sa mère Susannah Wedgwood Darwin en 1817, ses deux sœurs Caroline et Susan l'élevèrent lui et son frère ainsi que la jeune Emily du mieux qu'elles le purent. Charle resta tout au long de sa vie très proche de ses sœurs Susan et Caroline. Aussi ces correspondances sont bien réconfortantes pour lui, et comme à leur habitude ses deux sœurs bien-aimées lui donnent des nouvelles du Mount, la demeure familiale de Shrewsbury. La première lettre, écrite à Maer par Susan, lui raconte comment leur père le Dr. Robert Darwin n'a de cesse de se faire relire la lettre que Charles leur a écrite depuis le Brésil. Lui qui pestait contre les inconfortables navires de la Royal Navy selon la formule de « prisons flottantes » du poète Samuel Johnson, il se réjouit maintenant que son fils ait trouvé sur le Beagle un second foyer.

Nous apprenons également que son frère aîné, Erasmus Darwin, a développé quelques sentiments de jalousie vis à vis de son cadet, puisqu'il trouvait des plus amusants de raconter que ce dernier est mort en mer et que tous cachent la vérité à leur père ! Une blague des plus douteuses qui chamboule profondément une partie de la famille. Était-ce nécessaire, Erasmus ? Mais les frères sont souvent en rivalité, aussi complices puissent-ils être de prime abord. Ou bien faut-il y voir une mauvaise humeur suite à un chagrin sentimental ? « Erasmus a, je pense, plutôt une rancune envers M. Langton , il ne le pense pas digne de Charlotte » Catherine Darwin, correspondance du 12 juin 1832.

Susan se réjouit des progrès de Darwin sur le terrain, et l'encourage de tout son cœur à poursuivre. « Je ne peux m'empêcher de penser à quelle chance vous avez fait ce voyage avec le professeur Sedgwick, car la géologie semble être un si grand plaisir [pour vous] maintenant » Susan Darwin, correspondance du 12 mai 1832. Le Pr. Sedgwick est retourné étudier la géologie du Pays de Galles. Il n'a pas manqué de s'arrêter à Shrewsbury à l'aller comme au retour. « Le professeur Sedgwick est passé ici la semaine dernière alors qu'il se rendait au Pays de Galles : il a beaucoup parlé de vous et vous a envoyé ses aimables salutations, et a supplié qu'on vous dise d'examiner les berges de gravier des petites rivières à la recherche de restes d'animaux » Susan Darwin, correspondance du 12 mai 1832. Charles n'a guère attendu ce bon conseil, puisqu'il revient de Bahia Blanca où il a découvert le site paléontologique de Punta Alta. Néanmoins il est amusant de penser que ce conseil du Pr. Sedgwick, adepte du catastrophisme de Cuvier, sera d'une certaine manière l'instrument de la réfutation des anciennes théories paléontologiques qu'il soutint de son vivant ! « On parle beaucoup de politique ici » commente Susan, qui fait référence à la Réforme. Darwin aussi suivit cet épisode politique important, le lecteur curieux pourra cliquer sur ce lien pour en savoir plus.

La seconde lettre reçue à poste restante provient de sa sœur Caroline. Elle fut postée le 12 juin depuis Shrewsbury. Tout comme sa sœur Susan, elle lui donne un résumé de la vie mondaine de ces derniers mois et lui envoie de bonnes nouvelles de la famille. Les mariages et les décès rythment la vie bourgeoise anglaise des années 1830. Caroline s'intéresse bien moins dans ce courrier aux affaires publiques que sa sœur, mais nous ne saurons dire si les deux sœurs ne s'étaient pas justement concertées afin d'éviter de se répéter dans leurs courriers. Il est d'ailleurs assez amusant de comparer ces deux lettres aux romans de Jane Austen. Le lien est d'autant plus pertinent que dans sa lettre, Susan fait référence à un des personnages du roman "Emma" (1816) ! Mais ne nous y trompons pas, ces nouvelles de la bonne société bourgeoise de Shrewsbury sont aussi chères à Darwin que cette preuve de bonne santé de sa famille. Caroline et Susan lui rappellent enfin qu'elles continueront à lui écrire tous les mois, le courrier étant adressé à la poste restante de Rio de Janeiro jusqu'à présent, mais elles l'expédieront dorénavant vers Montevideo.

Toutes deux sont enchantées par les récits de voyage que Darwin leur fait parvenir. Régulièrement, le jeune Charles renvoyait au domicile familial son Journal de Bord. Cette habitude venait tout autant du désir de partager son voyage avec ses proches que de conserver la trace écrite de son Journal si jamais il lui arrivait malheur durant l'expédition. D'abord très déçu du résultat littéraire de sa prose, Darwin eut pourtant les encouragements enthousiastes de ses sœurs et de son père, ravis de pouvoir suivre par cette manière les aventures du jeune Charles. Même le Capitaine FitzRoy, en lisant un extrait, le jugea suffisamment bon pour être publié. Ce qui fut le cas quelques années plus tard avec le Journal of Researches (1839). En ce printemps 1832, la famille toute entière se passionne pour les récits de Charles, si l'on en croit Susan. Alors que les aventures du Cap-Vert leur sont parvenues, Mr Parker, le beau-frère de Charles (époux de sa sœur aînée, Marianne Darwin Parker), qui était enseignant saisit l'occasion pour en tirer une leçon de géographie à l'attention de ses élèves.

Enfin, un colis attendait Darwin à Montevideo. Il lui est envoyé par son mentor, le Pr. Henslow, et contient un inestimable cadeau pour Darwin. Il s'agit du second tome des Principes de Géologie de Charles Lyell, ouvrage qui vient tout juste d'être publié en Angleterre. Curieuse ironie ! Le Pr. Henslow lui avait déjà offert le premier volume par l'intermédiaire du Capitaine FitzRoy, peu avant le départ du HMS Beagle. Il l'avertissait alors de ne pas prendre au sérieux le gradualisme et l'uniformitarisme soutenus par Lyell. Ce qui eut peut-être l'effet inverse sur Darwin, qui s'inspira dès son Voyage de ces Principes de Géologie pour éclairer ses propres observations sur le terrain ! C'est ainsi que progressivement, Darwin devait abandonner la théorie du catastrophisme pour s'engager lui aussi sur la voie de la géologie moderne.


Commentaires

Articles les plus consultés en ce moment :

[1833] Le mauvais temps contrarie les projets de Darwin

[1833] Des îles Malouines jusqu'au Rio Negro

Darwin et la géologie des îles Malouines