[1832] Le capitaine FitzRoy loue deux Goélettes

Cartographier les côtes argentines n'est pas tâche aisée, et le capitaine FitzRoy en est bien conscient. Aussi lors du séjour du HMS Beagle dans la baie de Bahia Blanca durant les mois de septembre et octobre 1832, décide-t-il de louer les services de deux navires supplémentaires. Pour en savoir plus sur cet épisode fort méconnu du Voyage du Beagle, il nous faut parcourir les Narratives du Capitaine FitzRoy. Ce second volume du récit des deux premières expéditions du HMS Beagle nous livre avec détails les circonstances qui l'amenèrent à louer les Goélettes La Paz et La Liebre.


La carte de l'Amérique du Sud mise à jour par les travaux de cartographie de la seconde expédition du HMS Beagle (1831-1836).


Lors de l'arrivée du HMS Beagle dans la baie de Bahia Blanca, le Capitaine d'un navire d'un navire phoquier les guide à travers le dédale de bancs sablonneux. Ce Mr Harris et FitzRoy semblent s'apprécier, puisque les deux hommes conversent les jours suivants de la navigation côtière depuis Bahia Blanca jusqu'à la Terre de Feu. Rapidement, le Capitaine acquiert la conviction qu'il ne pourra pas remplir seul et dans les temps sa mission de cartographie. Après d'angoissantes délibérations, il décide de louer deux Goélettes auprès de Mr. Harris. Ces petites embarcations auront pour équipage des marins du HMS Beagle, tandis que Mr. Harris et Mr Roberts (ami et associé de ce dernier) assureront leur pilotage le long des côtes qui leur sont familières.

L'affaire est donc conclue peu avant le 9 septembre 1832. Mr. Harris s'en retourne au Rio Negro à bord d'un navire anglais (propriété de Mr. Elsegood) pour récupérer les deux Goélettes. Le Capitaine FitzRoy est alors confiant en sa décision et avance les frais. Il est persuadé que l'Amirauté acceptera de couvrir la dépense. Un an plus tard la réponse lui revint ; ce fut la douche froide. L'Amirauté refusa de rembourser la location des deux Goélettes ! Il lui fallut ravaler sa colère et accepter de payer les charges sur ses propres deniers. La location lui coûta d'ailleurs la bagatelle de 1680 £. Soit environ 197.000 euros actuels. « Cependant, je l'avais prévu et j'étais prêt à courir le risque, et maintenant je me console de cela, et d'autres mortifications ultérieures, par la réflexion que le service qui m'a été confié n'a pas souffert ». FitzRoy, Narratives. Chacun prendra note du dévouement du Capitaine envers sa mission, devoir sacré pour lequel il engage sa propre fortune.

Une semaine après son départ, Mr. Harris est de retour avec les deux Goélettes. Et quelle désillusion ! Le Capitaine FitzRoy réceptionne deux navires dans un état de déplorable. Ce sont des barques crasseuses, couvertes d'une substance huileuse poisseuse et rance. Mais les deux Goélettes tiennent bien la mer, ce qui vaut bien de perdre quelques jours pour assurer leur remise en état. Une partie de l'équipage du Beagle se charge de les restaurer et de les réarmer depuis un campement installé dans l'anse d'Arroyo Pareja, au sud de Punta Alta.

Le 13 octobre 1832, enfin rafraîchies, entièrement repeintes et réaménagées, les deux Goélettes sont prêtes à reprendre la mer. Ce ne sont pas de très grands navires, comme le rapportent FitzRoy dans ses Narratives et Darwin dans son Journal de Bord. Cependant, nos deux sources ne sont pas toujours d'accord sur les détails techniques des deux Goélettes. Mais en ce qui concerne l'exactitude des caractéristiques navales, nous donneront la priorité aux informations de FitzRoy.

La Paz est une Goélette de 15 tonneaux ; le tonnage est la capacité cubique intérieure ou capacité de transport. On parle de jauge ou de tonnage, car elle est exprimée en tonneaux. A titre de conversion, 1 tonneau équivaut à 100 pieds cube ou 2,83 m3. Nous n'avons pas de longueur rapportée pour ces deux navires ; or une Goélette n'a pas de dimensions spécifiques ! Il convient en effet d'appeler Goélette tout navire à voiles auriques ayant au moins deux mâts, le mât arrière (grand-mât) étant plus grand - ou égal - que le mât avant (mât de misaine). A l'inverse, un Yawl ou un Ketch sont des navires dotés d'un mât de misaine toujours plus grand que le grand-mât. Nous devrons donc nous limiter à ces détails pour imaginer La Paz. Initialement, le capitaine FitzRoy pensait en confier le commandement au Lieutenant Wickham. Finalement, elle fut commandée par Mr. Stockes, Mr. Mellesh et Mr. Forsyth. Cinq hommes d'équipage les accompagneront. Le navigateur désigné est Mr. Harris en personne. Wickham commanda cependant la flottille en l'absence de FitzRoy.

La Liebre est une Goélette encore plus petite, d'une jauge de seulement 9 tonneaux. C'est une coque de noix à voiles, si l'on en croit les descriptions de Darwin. Un bordage d'un pouce d'épaisseur seulement, sa plus petite cabine d'une hauteur au plafond de 76,2 cm ; voilà de quoi caboter tranquillement dans la rade d'un port breton, et de préférence par beau temps. Pourtant, le Lieutenant Wickham, l'aspirant King, le navigateur Mr. Roberts et quatre hommes d'équipage vont s'y entasser pendant de longs mois, affrontant même des tempêtes australes au large des côtes ! Chapeau bas, messieurs.

L'odyssée de La Paz et de La Liebre le long des côtes de Patagonie fait l'objet d'un chapitre complet des Narratives de FitzRoy. Mais avant qu'au 18 octobre 1832, les deux embarcations ne quittent pour de bon le HMS Beagle (le brick-sloop doit faire voile vers Montevideo pour se ravitailler), cinq jours de navigation commune attendent la petite flottille. Les marins se retrouveront le 3 décembre prochain, lorsque le Beagle mouillera devant Bahia San Blas, à 200 km au Sud de Bahia Blanca. Ce sera l'occasion d'un premier récit des aventures du Lieutenant Wickham et de ses Goélettes !


Commentaires

Articles les plus consultés en ce moment :

[1833] Le mauvais temps contrarie les projets de Darwin

[1833] Des îles Malouines jusqu'au Rio Negro

Darwin et la géologie des îles Malouines