[1832] Un Puma acheté par le Capitaine FitzRoy

Le 8 octobre 1832, le Capitaine FitzRoy achète auprès des soldats Gauchos de Bahia Blanca un Puma capturé la veille par leurs soins. Sans autre forme de procès, il fait abattre l'animal pour conserver sa peau. Darwin présente le félin comme commun dans la pampa. Durant tout son séjour en Amérique méridionale, il ne manqua d'ailleurs pas de rapporter dans son Journal de Bord les diverses traces relevées de ce splendide prédateur. Hélas de nos jours, le Puma (Puma concolor) a quasiment disparu de la région de Bahia Blanca.

Fidèles à leurs méthodes de chasse, les Gauchos ont capturé l'animal avec leurs bolas en empêtrant ses pattes antérieures. Puis ils le ligotèrent au lasso afin de l'immobiliser solidement. L'animal a de quoi impressionner l'équipage qui ne cesse d'entendre divers récits de bétail ou de voyageurs attaqués. Mais il nous est difficile, de nos jours, de ne pas avoir une pensée pour cette pauvre bête ainsi massacrée en vue d'être naturalisée.

Cougar photographié en Patagonie chilienne (2017). Crédits : Wikipedia

Dans son Journal de Bord, Darwin appelle indifféremment ce grand Félin sous les noms vernaculaires de Puma, Cougar, Lion ou encore Tigre. Ce manque évident de rigueur zoologique n'est pas de sa propre faute. Au final désigné Felis concolor dans la Zoologie du Voyage du Beagle, le Puma initialement présent depuis la région des Grands Lacs jusqu'en Patagonie comportait initialement de nombreuses sous-espèces. Soit tout autant de noms vernaculaires locaux différents.

La taxinomie récente a largement simplifié cette richesse foisonnante. En Amérique du Nord et centrale, est présente la sous-espèce P. c. couguar (le Cougar). Tandis qu'en Amérique du Sud, il s'agit de P. c. concolor (le Puma). Mais cette simplification taxonomique ne date que de 2017. Avant cela, pas moins de 32 holotypes de sous-espèces différentes furent proposés ! Associée à cette folle richesse spécifique, figurent des noms vernaculaires aussi variés que Cougar, Lion des Montagnes, Panthère de Floride, Puma des Andes, et j'en passe. Comment face à cette profusion naturaliste parfois indistincte, Darwin aurait-il peu faire autrement que de mélanger les noms vernaculaires ?

A l'origine de ce nettoyage taxinomique récent, l'outil génétique a une fois de plus permis de trancher le nœud du problème. L'analyse des génomes mitochondriaux et des séquences microsatellites a démontré au que la plupart des sous-espèces décrites étaient génétiquement trop proches pour être distinctes (Culver et al., 2000). La troisième édition de l'ouvrage de référence Mammal Species of the World (2005) reprenant les conclusions de Culver et al. limitait la liste à six sous-espèces seulement. Douze ans plus tard, la Cat Classification Taskforce annonçait réduire officiellement cette liste aux deux sous-espèces présentée dans le paragraphe ci-dessus (Kitchener et al., 2017). Pour argumenter son choix, ce groupe scientifique s'appuya sur les travaux de Caragiulo et al. (2014). A nouveau, l'ADN mitochondrial livrait ses secrets et révélait que les populations de Cougars d'Amérique du Nord sont génétiquement plus homogènes que celles d'Amérique du Sud, car plus récentes. Les Cougars sont les descendants des Pumas, tout simplement.

Si les distinctions morphologiques entre les six principales sous-espèces ont été conservées afin de répondre à des besoins de conservation des populations menacées, elles n'ont cependant plus vraiment de réalité génétique. Point fort intéressant abordé par Culver et al. (2000) dans leurs travaux sur l'ascendance génomique de Puma concolor, il semblerait que ses populations actuelles proviennent toutes d'un épisode de recolonisation ou de remplacement exercé par un petit noyau d'individus, il y a environ 10 000 ans. Eux-mêmes issus d'un noyau génétique d'Amérique du Sud orientale voici 200 000 à 300 000 ans. Caragiulo et al. (2014) confirment ce scénario et précisent que Puma concolor aurait de nouveau atteint l'Amérique du Nord voici 8000 ans.

Ces détails génétiques auraient certainement passionné Darwin. Mais ils nous permettent également de rappeler que la biologie, en tant que discipline scientifique, se construit progressivement à mesure que les connaissances s'accumulent. L'apparente incertitude zoologique de Darwin face aux Pumas rencontrés au cours de son périple reflète tout simplement le manque de connaissances naturalistes de son époque sur les Félidés d'Amérique. L'ascendance génomique du Puma n'est cependant pas sans faire écho aux découvertes paléontologiques que Darwin fit en Amérique du Sud, et notamment les fossiles d'une biodiversité passée aussi originale que remarquable. Alors que le jeune naturaliste s'interroge sur les raisons de l'extinction de ces espèces, savoir que le Puma a frôlé le même scénario aurait excité sa curiosité.

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