[1832] Des Fils de la Vierge recouvrent le HMS Beagle

Le 31 octobre 1832, les cordages du HMS Beagle sont recouverts de fils d'araignées. Non pas qu'il s'agisse de décorations pour Halloween, mais d'authentiques araignées aéronautes ont recouvert le navire de leurs filaments de soie ! En effet, certaines araignées sont capables de produire un faisceau de soie qui les propulse dans les airs, telle une voile. Ce phénomène, appelé le ballooning chez nos amis anglophones, permet une dispersion passive de certaines espèces afin d'occuper de nouveaux milieux.

Au Moyen-Âge, les fils de soie d'araignée ou d'acariens que l'on retrouve parfois sur les hautes herbes étaient attribués à la Vierge Marie, qui disait-on tissait les fils de sa quenouille pendant le sommeil de Jésus-Christ pour réaliser le linceul de morts miséreux. D'où l'expression française de Fils de la Vierge pour désigner le phénomène de ballooning. En Angleterre, une « money spider » qui se pose avec son fil de soie sur votre épaule est un présage de richesse. Si Aristote avait décrit ce phénomène de son vivant, le premier naturaliste à véritablement s'y intéresser fut John Blackwall, en 1827. L'observation que rapporta Darwin dans ses Notes Zoologiques fut donc tout aussi précieuse pour les zoologistes du XIXème siècle. Les araignées-montgolfières sont pourtant un phénomène de dispersion assez courant, avec désormais plus de 500 cas décrits dans la littérature scientifique. Mais le phénomène peut se révéler spectaculaire, comme en Australie lors des "pluie d'araignées" saisonnières !

Quelle est l'origine de ce phénomène ? Il s'agit souvent d'un comportement de juvéniles émergeant des cocons au printemps ou en automne. Mais chez certaines espèces, les araignées adultes peuvent aussi s'envoler de cette manière. La dispersion assurée par le ballooning permet à ces individus d'occuper de nouvelles niches écologiques tout en échappant à la concurrence arachnéenne locale. L'équipage est si léger que non seulement le vent, mais aussi le champ électrostatique de la Terre (Morley & Robert, 2018) assurent une portance suffisante.

Diverses espèces d'araignées pratiquent ce phénomène de dispersion, un comportement qui serait apparu au cours du Dévonien. Puis, l'émergence des plantes à fleurs complexifiant les habitats possibles pour les araignées, le ballooning aurait co-évolué avec les Angiospermes et de manière indépendante entre les différents taxons arachnéens l'ayant développé (Bell et al. 2007). Les techniques sont diverses : certaines araignées laissent pendre un bout de soie jusqu'à ce qu'elles s'envolent. D'autres grimpent au sommet d'une branche, d'un rocher ou d'un brin d'herbe, se dressent sur leurs huit pattes pour hausser leur abdomen, puis éjectent de fines soies qui les propulsent immédiatement dans l'air. La seconde technique s'observe notamment chez les Linyphiidae, famille d'Araignées à laquelle appartiennent les spécimens observés par Charles Darwin en ce 31 octobre 1832.

Le vol de ces araignées aéronautes peut couvrir des centaines de kilomètres. Dans ses Notes Zoologiques, Darwin estime qu'elles ont pu traverser plus de 60 miles (112 km) depuis la côte avant d'échouer sur le Beagle. Des ballons météorologiques ont détecté des araignées-montgolfières à 5 km d'altitude au-dessus du niveau de la mer. Les araignées hawaïennes du genre Orsonwelles sp. (Linyphiidae) peuvent même se disperser de cette manière dans un rayon de plus de 1600 km (Hormiga, 2002) ! Décidément, l'homme est bien loin d'être le seul Animal ayant inventé la navigation aérienne.


Pardosa spp. se préparant à s'envoler - Wikipedia


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