Le Guanaco, animal emblématique des Andes et de la Patagonie

Dans le "Voyage d'un naturaliste autour du monde", Charles Darwin nous raconte ses différentes observations de Guanacos (Lama guanicoe). Au point que ce surprenant animal devint le fil rouge de bon nombre des réflexions naturalistes de son ouvrage. Mais de quel Mammifère s'agit-il ? Le Guanaco est un Camélidé sauvage d'Amérique du Sud, qui contrairement à son proche parent le Lama (Lama glama), ne fut pas domestiqué. D'où son second nom vernaculaire tout à fait authentique mais bien que zoologiquement trompeur de "Lama sauvage".


Un Guanaco en Patagonie - Wikimedia


Cet animal aux mœurs remarquables n'eut de cesse de fasciner les naturalistes du XIXème siècle. Il apprécie les crottiers collectifs, qui pouvaient être impressionnants selon le témoignage de Darwin. Comme le Lama, le Guanaco peut cracher son bol alimentaire lorsqu'il se sent menacé. Ce qui ne manqua pas de surprendre plus d'un Européen voyageant à travers la Pampa ! Familier des Andes et de Patagonie, c'est un excellent montagnard qui peut vivre jusqu'à 3900 mètres d'altitude ! Ses hématies bénéficient d'adaptations moléculaires particulièrement efficaces pour fixer le dioxygène se raréfiant à cette altitude.

Vivant en troupeaux, il alerte ses congénères du moindre danger en émettant un cri aigu. Lancé en pleine fuite, il peut atteindre des pointes de 65 km/h. Le Guanaco est aussi un animal d'un naturel curieux, et les chasseurs le bernent facilement en se plaçant à quatre pattes au ras du sol. « Si, par exemple, on se couche par terre et qu’on fasse des gambades, qu’on lève les pieds en l’air ou quelque chose de semblable, ils s’approchent presque toujours pour voir ce que c’est » Charles Darwin, Voyage d'un naturaliste autour du monde. Les Fuégiens le chassaient et se revêtaient de sa fourrure. Mais le massacre de son espèce eut lieu dès lors que les Européens colonisèrent ses vastes territoires. De nos jours, il ne resterait plus que 500 000 individus, soit cent fois moins que la population estimée avant l'arrivée des premiers colons. Réputé pour sa chair comme pour sa fourrure pourtant moins épaisse que celle des Lamas et des Alpagas, ce Camélidé fut abondamment chassé pendant plusieurs siècles.

Dans son milieu naturel, le Guanaco a deux prédateurs : le Puma et le Condor. Le premier le chasse à l'affût, le second est plutôt charognard et lui préfère sa carcasse. Darwin ne manqua pas d'associer le salut de ces deux animaux tout aussi remarquables à l'abondance de ce Camélidé, pierre angulaire de réseaux trophiques d'Amérique du Sud. Lorsqu'un voyageur croise un troupeau de Guanacos, le Puma n'est jamais très loin. « On affirme que le puma tue toujours sa proie en lui sautant sur les épaules et en tirant à lui, au moyen d’une de ses pattes, la tête de sa victime jusqu’à ce que la colonne vertébrale se brise. J’ai vu, en Patagonie, des squelettes de guanacos dont le cou était ainsi disloqué » Charles Darwin, Voyage d'un naturaliste autour du monde

L'espèce étant listée parmi les plus gros Mammifères d'Amérique du Sud, Darwin tente même une intéressante relation entre production végétale et masse des plus grands herbivores terrestres. L'exercice reste balbutiant, et n'aboutit à aucune conclusion probante. Cependant, la réflexion n'est pas sans évoquer les fameux calculs de biomasse assimilée entre chaque maillon du réseau trophique d'un écosystème. Décidément, Charles Darwin était un écologue en avance sur son époque. Naturaliste conscient de l'impact anthropique sur les paysages, il ne manque pas non plus de rappeler comment l'élevage repousse peu à peu la faune sauvage hors de ces écosystèmes ouverts : « Les innombrables troupeaux de chevaux, de bestiaux et de moutons ont non-seulement modifié le caractère de la végétation, mais ils ont aussi repoussé de toutes parts et fait presque disparaître le guanaco, le cerf et l’autruche » Charles Darwin, Voyage d'un naturaliste autour du monde.

Enfin, Darwin dresse un lien de parenté entre les actuels Guanacos & Lamas et les fossiles qu'il découvrit en Patagonie : « C’est près du port Saint-Julien, dans de la boue rouge recouvrant le gravier de la plaine, élevée de 90 pieds au-dessus du niveau de la mer, que j’ai trouvé la moitié d’un squelette de Macrauchenia Patachonica, quadrupède remarquable, tout aussi grand qu’un chameau. Il appartient à la division des pachydermes, qui comprend le rhinocéros, le tapir et le paléothérium ; mais, par la structure des os de son cou fort allongé, il se rapproche beaucoup du chameau ou plutôt du guanaco et du lama » Charles Darwin, Voyage d'un naturaliste autour du monde. L'extinction de ces espèces fossiles au profit de la faune actuelle n'eut de cesse d'intriguer Darwin, jusque dans son "Origine des Espèces". La parenté entre les Macrauchenia et le Guanaco n'est qu'un exemple supplémentaire de lien phylogénétique entre biodiversité passée et actuelle. Mais la disparition du premier au profit du second demeure une intrigante énigme pour notre naturaliste. « Pouvons-nous croire que le Capybara ait accaparé les aliments du Toxodon, le Guanaco du Macrauchenia, les petits Édentés actuels de leurs nombreux prototypes gigantesques ? » tente-t-il en guise d'explication. Nous y verrons surtout la preuve qu'en 1839, date de parution du "Voyage d'un naturaliste autour du monde", Darwin avait depuis longtemps abandonné le catastrophisme de Cuvier en faveur d'un scénario de compétition entre espèces exploitant les mêmes ressources naturelles.

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