[1833] Une croisière sur le Rio Paraná
Le 5 octobre 1833, Darwin traverse le Rio Paraná pour atteindre la ville éponyme de Paraná (alors appelée Santa-Fé Bajada), capitale de la province d'Entre Ríos. Le voyage sur le fleuve depuis la rive de Sante Fe ne prend que 4 heures. Son attention première était de visiter la province d'Entre Ríos. Mais sa mauvaise santé depuis son arrivée à Santa Fe le force à revoir ses ambitions à la baisse. Sur place, il loge chez un vieux Catalan auprès duquel il a une lettre d'introduction. L'accueil qui lui est réservé est, selon ses mots, exceptionnel.
Après une bonne nuit de repos, Darwin décide plutôt de rejoindre Buenos Aires en voguant sur le Rio Paraná. D'une longueur de 4099 km, le Rio Paraná prend sa source dans les hauts plateaux brésiliens et se jette dans l'estuaire du Rio de la Plata. Son long cours est marqué par de remarquables paysages hydrologiques, comme la célèbre cascade des Sept Chutes. De nos jours, le Rio Paraná est entravé par divers barrages hydroélectriques, comme le barrage d'Itaipu, mis en service en 1984. En Argentine, il marque la frontière entre deux provinces : Santa Fe et Entre Rios.
Le bassin versant des Rio Paraná et Rio Uruguay |
Pour ce voyage le long du fleuve, Darwin va finalement opter pour une balandra (bélandre). Il s'agit d'un petit navire de charge marchand équipé de un ou deux mâts. Ce ne sont pas des vaisseaux conçus pour la haute mer, ils se limitent donc au transport fluvial ou côtier. Mais le mauvais temps, combiné à l'indolence du pilote, vont retarder considérablement la durée du voyage. L'embarcation n'atteindra Las Conchas (à 32 km de Buenos Aires) que le 20 octobre ! Prenant son mal en patience, Darwin profite de cette croisière inattendue pour contempler quelques bonnes surprises naturalistes.
Cette excursion inattendue lui laisse même l'occasion de débarquer le long des falaises du Paraná. Il en profite pour récolter quelques fossiles de coquillages, qui comme les nombreux autres spécimens qu'il collecta, lui permettront de proposer par datation relative un âge très récent aux dépôts sédimentaires d'Argentine. Darwin supposait que le continent d'Amérique méridionale s'était surélevé au cours des âges géologiques. En réalité, les dépôts sédimentaires marins trahissent une élévation ancienne du niveau actuel des océans.
Les méandres du Rio Paraná à l'approche de son estuaire sont favorables à la formation d'une ripisylve complexe. Darwin note au 12 octobre 1833 la variété et l'abondance des couverts végétaux des nombreuses îles sablonneuses. Les successions écologiques s'y déroulent le plus naturellement du monde, comme le rapporte Darwin dans son Journal de Bord avec une étonnante précision écologique. Elles forment des habitats variés aux Capybaras, mais aussi aux Pumas. Depuis la balandra, les traces de ces félins sont visibles sur les berges sablonneuses. De crainte d'une mauvaise rencontre, Darwin évite d'explorer ces îles fluviales. Il rapporte témoignage de conflits entre colonisation humaine et faune sauvage. La ripisylve est périodiquement inondée lors des crues du Rio Paraná. La faune entame alors une migration saisonnière forcée sur les berges alentours. Seulement voilà, de nombreuses infrastructures portuaires ont été construites le long du fleuve. Les pumas retrouvent leurs habitats-refuges occupés par l'homme, et la cohabitation ne peut qu'être violente. Les récits d'habitants ou de troupeaux attaqués sont fréquents, comme le livre Darwin dans son Journal. Hélas, la seule réponse à cette cohabitation forcée n'étant que le fusil, il n'y a guère d'illusions à se faire sur l'avenir des populations de pumas.
Les 13 et 14 octobre, le mauvais temps force la balandra à rester au mouillage. Bien que naviguant sur un fleuve, Darwin ne manque pas de ressentir les mauvais effets du ressac et reste au lit dans sa cabine. Le 15 octobre, l'embarcation lève enfin l'ancre. S'aventurant en canot dans une petite crique près de Punta Gorda, Darwin observe un Bec-en-ciseaux noir (Rynchops niger). Ce curieux Laridé au bec dissymétrique lui permettant de saisir les poissons en vol le fascine grandement. Encore une preuve future de la sélection naturelle des caractéristiques morphologiques originales mais avantageuses chez une espèce. Les soirées sont tropicales : 26°C au thermomètre. Les lucioles agrémentent le paysage nocturne, tandis que les moustiques lui font vivre l'enfer. Pour survivre à ces insectes hématophages, il improvise une moustiquaire de fortune.
Gravure de Bec-en-ciseaux noir (Rynchops niger) dans le Voyage d'un Naturaliste autour du Monde |
Le 16 octobre 1833, la balandra atteint Rosario. La progression est à nouveau interrompue le lendemain par le mauvais temps. Les 18 et 19 octobre, des vents plus légers permettent de voguer jusqu'à Las Palmas, à l'embouchure du Paraná. C'est alors que, décidant qu'il avait perdu suffisamment de temps dans cette croisière inattendue, Darwin opte le 20 octobre pour un voyage en pirogue jusqu'à Buenos-Aires. La balandra atteint alors Las Conchas, à 32 kilomètres de la cité argentine. Notre jeune naturaliste quitte donc le navire marchand et enchaîne trois embarcations pour franchir les bras du Rio Paraná. Puis, à Punta de San Fernando, il se procure une pirogue et un guide. Ensemble, il pagayent jusqu'à Buenos-Aires. Le paysage de vergers naturels a quelque chose d'enchanteur. Hélas, ce paradis terrestre cache une bien mauvaise surprise. Buenos-Aires est en proie à l'instabilité politique, et Darwin ne peut plus quitter la ville une fois arrivé. Cloîtré malgré sa volonté, il va devoir subir cette situation pendant près de deux semaines.
Commentaires
Enregistrer un commentaire