Le 20 janvier 1832, Darwin entame une longue promenade à l'intérieur des terres avec McCormick, longeant le lit desséché d'une large rivière qui sert de route agricole jusqu'au célèbre baobab de l'île de Santiago. Il s'agit d'un impressionnant spécimen d'Adansonia digitata (Malvacée) dont la réputation a déjà atteint l'Angleterre puisque Darwin et les officiers du HMS Beagle le connaissaient de part leurs lectures. Mais pour autant, méritait-il sa réputation de vénérable ancêtre et témoin du Déluge biblique ? Pour Darwin et les officiers du HMS Beagle, voici un défi botanique de taille !
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Baobab Adansonia digitata du Cap Vert, gravure Bérard publié sur le Tour du Monde, Paris, 1861. |
L'arbre n'est pas tant
imposant par ses dimensions (déjà imposantes) que par sa présence
assez solitaire dans un paysage semi-aride qui n'est pas sans
rappeler la savane africaine. Le naturaliste français Michel
Adanson, qui publia en 1761 un mémoire illustré sur le baobab,
estimait que certains de ces arbres avaient atteint l'âge vénérable
de 6000 ans. Ce qui, dans l'esprit créationniste et fixiste des
savants du XVIIIème et début XIXème siècle, en faisaient plus ou
moins des témoins de la génèse biblique du Monde. En réalité, un
baobab peut vivre un peu plus de 2000 ans, ce qui est déjà
remarquable en soit ! Mais dans les Notes géologiques du
jeune Darwin, cette anecdote des 6000 ans trouve forcément un
certain écho. Et si ce baobab avait vécu presque aussi longtemps
que ce monde ?
Pour autant, Darwin doute
dans ses Notes géologiques que ce baobab canonique ait été
contemporain de la création du Monde, ou même qu'il ait pu assister
aux épisodes catastrophiques majeurs ayant façonné le passé
géologique de l'île volcanique de Santiago. Et même si les
théories catastrophistes demeuraient communes parmi les géologues
durant ses années de formation, il n'empêche que le Pr. Sedgwick
avait publiquement rejeté en 1830 l'hypothèse de dépôts
sédimentaires mondiaux rattachables au Déluge biblique. En réalité,
les géologues supposaient déjà que la Terre était plus ancienne
que le décompte depuis la Genèse, et Darwin avait
certainement eu vent de ces débats académiques durant ses années
de formation universitaire. Aussi les réflexions de Darwin dans ses
Notes géologiques témoignent déjà d'un certain scepticisme
du jeune naturaliste face aux conceptions bibliques préconstruites.
Le 24 janvier 1832, Darwin, le lieutenant Wickham et le capitaine FitzRoy reviennent jusqu'au vieux baobab, bien décidés à lever les doutes sur ses réelles mensurations. Certainement suspectent-ils quelques exagérations de la part des chroniqueurs de l'époque, et cette journée oisive se prêtait à relever de tels défis. FitzRoy, aidé de son sextant de poche et d'une ficelle, annonce que l'arbre mesure 13,72 mètres de hauteur, pour une circonférence maximale de 3,96 mètres. « De sorte que sur un dessin précis, sa hauteur ferait 3,4 fois sa largeur » (C.D.). Son écorce est profondément marquée d'inscriptions à hauteur d'homme : dates, initiales et messages divers. Nous ignorons si Darwin rajouta les siennes.
Mais outre ses dimensions tout à fait respectables, ce baobab est le triste représentant solitaire d'une couverture végétale dévastée par l'exploitation humaine. Bien avant l'arrivée des premiers colons, les îles volcaniques du Cap-Vert possédaient une végétation oscillant entre biomes tropicaux ou arides, et plus tempérés selon l'altitude. En effet, l'archipel présente une grande diversité de relief, des plateaux ne dépassant pas 500 mètres d'altitudes (îles de Maio, Boa Vista, Sal) aux sommets pouvant atteindre 1395 mètres (île de Santiago), 1979 mètres (île de Santo Antão) et même 2 829 m pour le volcan actif de Pico do Fogo, sur l'île de Fogo !
Le Cap-Vert connaît globalement un climat tropical de type semi-aride (voir tableau ci-dessous), avec une influence océanique qui le porte localement vers des conditions arides tempérées et des climats plus frais sur les versants à forte altitude. Les températures sont relativement modérées, en raison de l'influence océanique, par rapport à celles relevées sur le continent africain. Les valeurs actuelles sont proches de 25°c, le mois le plus frais étant janvier (18,4°c en moyenne) et le plus chaud étant septembre (26,7°c en moyenne).
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Sources : Wikipedia |
Les précipitations sont faibles sur l'archipel, souvent inférieures à 300 mm par an sur la majorité du territoire. La pluviométrie varie cependant avec l'altitude et peut se montrer irrégulière en raison des reliefs et de l'exposition aux vents. Cependant, la "saison des pluies" au Cap-Vert se regroupe entre août et octobre. Les averses, très intenses et torrentielles, cèdent ensuite la place à de longues périodes de sécheresse. Autant noter que ces conditions sont assez néfastes à l'agriculture. Darwin, qui visite l'île de Santiago en janvier-février 1832, arrive alors en pleine saison sèche et particulièrement sévère.
L'humidité relative varie entre 75-80 % sur les côtes insulaires méridionales et dans les zones semi-aride, dépassant les 80 % en altitude ou à l'intérieur des terres comme pour l'île de Santiago. Mais en période d'harmattan soufflant depuis l'Afrique, l'humidité peut chuter brutalement à 10 % en quelques heures ! Dans ces conditions, la végétation connaît des épisodes de stress hydrique extrêmes. Initialement, la couverture végétale primitive de l'archipel devait être discontinue en fonction des influences pédo-climatiques diverses. Mais elle a été surexploitée et détruite par les activités humaines, dès la colonisation de l'archipel au XVème siècle.
Le célèbre baobab de l'île de Santiago est donc un vestige de ces couvertures primitives. Il n'en demeure que quelques lambeaux, notamment dans les vallées encaissées impropres aux cultures. Initialement, la communauté végétale du Cap-Vert devait se composer de Baobab (Adansonia digitata), de Ficus sp., de Tamarinier (Tamarindus indica), et de Faidherbia albida (Acacia albida). De nos jours, différents programmes de reboisement partiel afin de lutter contre l'érosion des sols ont introduit diverses essences exotiques : Proposis juliflora, Acacia holosericea, Parkinsonia aculeata, Eucalyptus camaldulensi, Pinus, Cupressus, et Prosopis juliflora. Ces efforts de reboisement permettent aussi de lutter contre la sécheresse et la désertification. Mais la couverture végétale primitive du Cap-Vert semble désormais totalement perdue, autant en superficie initiale, que noyée dans cette nouvelle biodiversité importée.
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