[1832] La désillusion de Ténérife

Tôt le 6 janvier 1832, le HMS Beagle arrive en vue de l'île de Ténérife, dans l'archipel des îles Canaries. Le Pic de Teide, au sommet de l'île volcanique, est alors enneigé. Le paysage n'est pas sans évoquer selon FitzRoy dans ses Narratives les descriptions du naturaliste Humboldt. Le Beagle approche par le Nord de l'île, peut-être même Nord-Est, puisque dans les deux cas le pain de sucre volcanique qui est visible depuis l'océan sert de repère afin d'indiquer l'île pointant au Sud-Ouest. Néanmoins, la côte de Ténérife est longée d'Ouest en Est, puisque la Punta Anaga, relief septentrional de l'île, est dépassée dans la matinée avant de mouiller devant le port de Santa Cruz.


Gravure anonyme du Pic de Teide, Ténérife.


Alors que vers midi l'équipage du Beagle se prépare à toucher terre, une barque d'officiels approche du brick-sloop. Le vice-consul britannique leur apprend alors qu'en raison de rapports leur étant parvenus d'une épidémie de choléra en Angleterre, les autorités espagnoles refusent de les laisser accoster. « Le 6 janvier, nous arrivons à Ténériffe, où l’on nous empêche de débarquer dans la crainte que nous n’apportions le choléra » Charles Darwin, Voyage d’un naturaliste autour du monde. L'équipage doit, s'il souhaite tout de même débarquer, observer une quarantaine de douze jours sans aucune communication entre le navire et l'île. Le capitaine FitzRoy délibère avec ses lieutenants, et conclue rapidement que ce retard risquerait de compromettre le calendrier de l'expédition. Décision est prise de reprendre la mer pour faire voile vers les îles du Cap-Vert.

Darwin, qui rêvait de visiter Ténérife, est on ne peut plus déçu. A tel point que FitzRoy consigne la désillusion de son passager dans ses Narratives ! Le jeune naturaliste attendait beaucoup de sa visite de Santa Cruz, dont il nous fait une description des plus élogieuses depuis la mer : « Les maisons aux couleurs tapageuses, blanches, jaunes ou rouges ; les églises d'aspect oriental et les batteries basses et sombres avec le drapeau espagnol aux teintes vives qui flottait au-dessus, tout cela était extrêmement pittoresque » Charles Darwin, Journal de Bord. Il faudra aussi faire une croix sur les vallées encaissées de cette île volcanique, dont les richesses naturalistes attiraient irrésistiblement Darwin.

Le capitaine FitzRoy, quant à lui, ne semble guère regretter Ténériffe qu'il décrit dans ses Narratives comme une « ville brûlée par le soleil et peu accueillante ». Le port est selon lui trop exposé à la houle, à tel point "que les navires de guerre espagnols reçurent l'ordre de leur gouvernement de s'y amarrer avec quatre ancres". Enfin, quelques ressentiments patriotiques faussent son jugement : « Dans l'une des églises de Santa Cruz sont encore accrochés les restes d'un drapeau, pris aux Anglais, ou abandonnés, lorsque Nelson perdit son bras ». C'est donc sans regrets pour le capitaine que le HMS Beagle reprend sa route, au grand désespoir de Darwin.

Le 7 janvier 1832, après une nuit passée à lutter dans des brises folles, le HMS Beagle s'attarde quelques heures dans les eaux de Ténérife. Il louvoie en direction de Santa Cruz, l'équipage profite du beau temps pour pêcher ou tirer les oiseaux. La journée est donc oisive. Une bonne brise souffle depuis le continent africain, et le brick-sloop quitte définitivement Ténérife pour cette année 1832.


Trajet du HMS Beagle depuis le 4 janvier 1832 au 7 janvier 1832 durant l'épisode de Ténérife. Réalisation : QGIS / OpenStreetMap


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