"Creation" - Jon Amiel (2009)

On se fait une toile darwinienne ? Je vous propose "Creation" de Jon Amiel (2009), film sorti au moment du double anniversaire du bicentenaire de la naissance de Charles Darwin et des 150 ans de "L'Origine des Espèces". Ce film ne connut pas un très vif succès, à vrai dire il n'est disponible en français qu'auprès de TF1 Vidéo sous le titre "Au commencement …". Quant aux USA, les mouvements créationnistes pesèrent de tout leur poids pour empêcher sa diffusion dans les salles de cinéma. La critique ne fut pas tendre non plus, notamment parce que le synopsis du film est assez trompeur. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un film sur la genèse et les péripéties d'édition de "L'Origine des Espèces", mais un drame familial très intimiste autour de la vie de couple des époux Darwin.



Paul Bettany incarne pourtant avec brio le rôle principal de Charles Darwin, avec dans la distribution des seconds rôles, les actrices Jennifer Connelly pour Emma Darwin et Martha West pour Annie Darwin. Mais alors, de quoi parle ce film ? Il s'agit de l'adaptation au cinéma du roman "Annie's Box" de Randal Keynes. L'écrivain et écologiste britannique qui est l'arrière-arrière-petit-fils de Charles Darwin romance dans ce livre le drame familial majeur que vécut son illustre ancêtre.

En effet, tout part de sa redécouverte dans les affaires familiales de la Maison de Down (maison historique de Darwin) d'une malle dans laquelle Charles et Emma avaient conservé les affaires de leur jeune fille Annie Darwin, morte prématurément à l'âge de 10 ans. Ce trésor inestimable pour les biographes de Darwin lui servit de fil conducteur pour imaginer comment Charles Darwin dut faire face au terrible deuil de la perte d'un enfant durant les années 1851-1859, alors qu'il travaillait sur le manuscrit de "L'Origine des Espèces".

C'est donc un drame familial, richement renseigné grâce au roman de Keynes sur l'intimité du couple Darwin. Ce scénario sensible et intelligent ne méritait pas des critiques aussi médiocres. Pour autant, qu'en est-il de la véracité biographique ? En-dehors de l'aspect dramatique du scénario, il n'en demeure pas moins que de nombreuses grandes lignes biographiques sont préservées, donnant à ce film une saveur historique fort agréable. La mort de leur fille Annie fut une terrible tragédie pour le couple Darwin. Il est difficile d'établir un diagnostic des causes du décès de la jeune enfant, mais le traumatisme de sa disparition demeure mis correctement en perspective.

Le personnage de Darwin y apparaît aussi plutôt crédible, car il respecte deux détails importants sur la santé et la psyché du célèbre naturaliste.

- Charles Darwin avait probablement un trouble du spectre autistique ou syndrome d'Asperger : les détails dans le jeu de l'acteur et scénario le soulignent avec bienveillance cette facette du personnage. Nous ne sommes pas dans la caricature du génie autiste pour autant !

- Charles Darwin souffrait de problèmes chroniques de santé que certains auteurs relient à une possible maladie mitochondriale appelée syndrome MELAS. Il n'empêche que le scénario reprend bien les principaux symptômes dont souffrait Darwin. S'il n'est pas question dans cette adaptation de poser un diagnostic, le jeu d'acteur n'en demeure pas moins respectueux de cet aspect médical.

La relation de couple entre Charles et Emma Darwin y est brillamment jouée, notamment leur déchirement à la mort d'Annie. Le couple semble dériver vers le naufrage tant leurs réactions divergent. Charles rejette peu à peu la religion, tandis que Emma se réfugie dans sa foi. L'intrigue interpelle alors le spectateur : les deux époux parviendront-ils à se retrouver ? Alors que Charles tente d'affronter le "fantôme" d'Annie - élément scénaristique symbolisant le deuil inachevé - dans son esprit vif bouillonne le manuscrit de sa théorie de l'évolution.

Le film alterne aussi les flashbacks du Voyage à bord du Beagle entremêlés des dernières années de vie de sa fille Annie. Et que de magnifiques images du Beagle, avec Ian Kelly interprétant avec panache le capitaine FitzRoy. Il faut absolument qu'une série sur le voyage du Beagle soit un jour développée ! Pourquoi entrecouper l'intrigue de tels flashbacks ? Pour mêler intimement deux éléments forts de la vie du quarantenaire Darwin : le voyage du Beagle et sa relation de couple avec Emma.

Tout n'est cependant pas romancé à la perfection dans ce film. Le personnage de Wallace, qui dans sa correspondance révèle à Charles Darwin aboutir à des conclusions similaires sur le transformisme des espèces, n'a guère la place qu'il mérite ici. Probablement, ce choix scénaristique a pu irriter les spectateurs s'attendant à découvrir à l'écran la gestation scientifique d'une œuvre majeure de la biologie moderne. Mais encore une fois, "Creation" se concentre plus sur un Darwin intime que sur un Darwin naturaliste. Pour autant, l'un ne va pas sans l'autre aux yeux du biographe amateur que je suis.

"Creation" est un film intelligent, exigent, prenant parfois quelques libertés avec la réalité biographique. Mais ce film propose une telle puissance dramatique et un jeu d'acteurs si bouleversant qu'on lui pardonnera aisément. Il révèle un portrait familial éblouissant et poignant, même s'il peut se révéler difficile d'accès pour un spectateur néophyte. En conclusion, "Creation" est un film intelligent, sauf que peut-être trop exigent envers le spectateur. Mais Amiel nous livre un bel hommage rendu au célèbre naturaliste Charles Darwin.



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