[1833] La mort accidentelle de M. Hellyer

Le 4 mars 1833, un drame frappe l'équipage du HMS Beagle. M. Edward Hellyer, le commis du capitaine, est retrouvé mort. Il s'agit vraisemblablement d'un accident. Et pour autant, le mystère demeure encore entier sur le triste événement qui le mena de vie à trépas. La triste nouvelle parvient au brick-sloop après qu'un colon des îles Malouines ait retrouvé des vêtements et un fusil abandonnés sur la côte. L'équipage se précipite à la recherche de Hellyer, mais trop tard. Ils découvrent le corps reposant sur un lit de varechs.


Gravure d'un homme noyé.

Rapidement, les officiers du Beagle concluent à un accident. Cependant, plusieurs indices laissent songeurs. Son fusil est déchargé, il l'a bien utilisé pour tirer. Vraisemblablement, il s'agissait d'un tir de chasse, puisqu'un canard inerte est retrouvé à proximité du corps. Mais alors, pourquoi s'être déshabillé et comment a-t-il fini noyé dans les eaux froides du rivage ? Pour Darwin, le mystère ne fait aucun doute. Le pauvre M. Hellyer a voulu récupérer son gibier tombé dans l'eau. Il a donc retiré une partie de ses vêtements et posé son fusil pour nager jusqu'à sa prise.

Hélas, il semblerait que notre homme ait été victime d'un malaise. Foudroyé en pleine nage, son corps aurait dérivé quelques mètres avant que sa cheville ne se prenne dans les algues brunes. Le scénario peut sembler crédible, pourtant notre homme n'était pas du tout âgé, bien au contraire ! Dans la Royal Navy, le commis du capitaine était un membre d'équipage responsable de la tenue des dossiers et de la correspondance du capitaine. C rôle de secrétaire particulier était confié à un jeune aide, aussi M. Hellyer devait avoir pas plus de 23 ans au moment de son fatal accident.

Le Capitaine FitzRoy est affligé par cette disparition : « Pour moi, ce fut un coup aussi sévère que pour ses propres commensaux ; car M. Hellyer avait été beaucoup pour moi, à la fois en tant que commis et parce que j'aimais sa compagnie, étant un jeune homme courtois et sensé » Robert FitzRoy, Narratives. Le Capitaine se sent même responsable de sa disparition : « J'ai également senti que le motif qui le poussait à se déshabiller et à nager après l'oiseau qu'il avait abattu était probablement le désir de l'obtenir pour ma collection ». Robert FitzRoy, op. cit.

Cependant pour FitzRoy, point d'accident cardio-vasculaire durant la noyade. L'explication du piège mortel tendu par le varech lui semble suffisamment crédible : « Étant seul et trouvant l'eau froide, il s'est peut-être alarmé, puis s'emmêlant accidentellement les jambes dans les algues, a perdu sa présence d'esprit, et en se débattant à la hâte n'en a été que plus confus ». FitzRoy insiste même de manière mélodramatique sur les derniers instants supposés de son commis : « La marée montante a dû augmenter considérablement sa détresse et hâter le résultat fatal ». Mais à aucun moment, le malaise cardiaque par hydrocution, pourtant bien plus crédible n'est évoqué ici. Est-ce pour éluder une possible faiblesse de constitution de son commis, et dresser un éloge funèbre bien plus héroïque en hommage à son secrétaire et ami ?

Toujours est-il que M. Hellyer a payé cher son audace à la chasse. Les eaux froides eurent raison de lui, que son corps se soit emmêlé dans les algues de son vivant ou après trépas. N'oublions pas non plus qu'à l'époque, bon nombre d'accidents étaient consignés dans le registre sans plus d'examens médicaux post-mortem que cela. Le lendemain 5 mars 1833, la dépouille de Mr Hellyer fut ensevelie sur un proche promontoire, à Johnson Harbour. La cérémonie semble à la hauteur de l'affection que l'équipage et les officiers portaient au jeune homme. « C'est un triste cortège : en tête venait l'Union Jack en berne, et sur le cercueil était jeté le pavillon national » Charles Darwin, Journal de Bord. Perdre un camarade au sein du microcosme que formait l'équipage d'un navire de la Royal Navy était toujours une épreuve, et les témoignages qu'en livrent FitzRoy comme Darwin résument fort bien les liens qui reliaient les hommes d'un navire, qu'ils soient marins ou officiers à bord.

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