[1834] Chevauchée avec les Gauchos des Malouines
Le 16 mars 1834, Darwin part en excursion sur l'île des Malouines Orientales avec pour compagnons deux Gauchos et six chevaux. Fait remarquable que le jeune naturaliste ne manque pas de nous préciser, il s'agit des deux seuls éleveurs de bétail que n'étaient pas directement impliqués dans le précédent massacre des représentants britanniques de la colonie. Du moins est-ce qu'ils prétendent ! Mais comme ils n'étaient pas d'humeur à tuer le jeune homme, notre cher naturaliste put profiter de sa randonnée à cheval !
Landes vallonnées herbeuses et sol tourbeux, c'est ainsi qu'il décrit le paysage dans son Journal de Bord. La géologie et l'ornithologie interpellent son attention ; mais il ne manque pas pour autant de s'intéresser de près aux mœurs de ces cow-boys d'Amérique méridionale. Le bétail, laissé en pleine liberté sur l'île, a été cependant éparpillé par les insurgés. Ils en massacrèrent une partie, ne prélevant que quelques steaks sur les carcasses pour parachever leur œuvre. Près de deux cent têtes de bétail avaient été ainsi mutilées, et leurs carcasses pourrissantes ponctuaient le paysage. Les gauchos capturent le bétail à l'aide de leurs bolas, comme ils en font la démonstration sur place. Quand la bête est enfin à terre, ils leur coupent les tendons pour la neutraliser avant de l'abattre d'un coup de couteau dans sa moelle épinière. Un tableau aussi sauvage que rustique !
Santiago, l'un des deux Gauchos, s’attelle à la tâche avec dextérité, malgré la rudesse de sa prise qui lui résiste obstinément. Puis l'animal abattu, il découpe suffisamment de chair pour qu'elle leur durât jusqu'à la fin de l'expédition. Et comme à son habitude, Darwin ne manque pas de nous régaler de ses commentaires gastronomiques ! Comme le veut l'usage, la viande est rôtie avec la peau, selon une préparation baptisée carne con cuero. En procédant ainsi, les jus et la graisse sont conservés par le cuir. La cuisson permet ainsi d'obtenir une viande moelleuse, dont la saveur est unique en son genre ! Il s'agit d'un plat typique de la tradition gaucho, qui s'est imposé au fil des siècles comme une coutume gastronomique du Río de la Plata. Et selon Darwin, le résultat de cette viande ainsi rôtie est tel que si le plat était importé en Grande Bretagne, elle susciterait sans le moindre doute l'enthousiasme de tous les Londoniens !
Le 17 mars, la journée est agitée, avec des averses de grésil. Les Gauchos doivent cependant poursuivre leur tâche, et s'occuper de maintenir un bon équilibre dans le cheptel bovin sauvage. Comme la viande de vache est fort prisée, les taureaux vagabondent librement. Il faut cependant réguler leur nombre, ce qui n'est pas de tout repos ! Car selon Darwin, ces bêtes ressemblent à s'y méprendre aux Aurochs antiques. Du moins en possèdent-elles l'agressivité, et un vieux taureau isolé leur mena un combat digne des arènes romaines. Ce n'est qu'en l'immobilisant de leurs deux lassos que les Gauchos en viennent enfin à bout. Darwin est fasciné par le talent des cavaliers, dominant de tout leur art la force colossale de l'animal. Enfin, les cavaliers approchent de l’extrémité orientale de l'île. Ils y croisent un troupeau de chevaux sauvages, puis bivouaquent sur place. A la grande surprise de Darwin, le combustible utilisé pour rôtir leur viande n'est autre que des os de taureaux ! Voilà de quoi rajouter à l'image sauvage de ces Gauchos insulaires.
Le 18 mars, la pluie rend le terrain particulièrement spongieux. Les deux compagnons de voyage de Darwin ne se laissent pas abattre, et parviennent à allumer un feu avec une haute bruyère qui crépite même lorsqu'elle est encore verte. L'aptitude de ces hommes à faire littéralement feu de tout bois n'a de cesse de surprendre notre jeune anglais. Le 20 mars, la randonnée touche à sa fin. Mais le mauvais temps a rendu le terrain presque impraticable ! Ce n'est donc pas sans difficultés que les trois cavaliers regagnent enfin Port Louis. De retour à bord du HMS Beagle, Darwin va devoir attendre quelques temps encore avant que le brick-sloop ne reprenne la mer.
En effet, un autre projet d'insurrection vient d'être déjoué ! Prisonniers et délateurs ont été mis au fers le capitaine FitzRoy, qui espère renvoyer deux des plus dangereux prisonniers à Rio de Janeiro. Entre le 20 et le 30 mars, le navire attend le retour d'un Cotre qui se chargera de leur transport. Pour passer le temps, Darwin étudie les Corallines accrochées au varech. Finalement, le Cotre ne reviendra pas. FitzRoy décide de réquisitionner un Baleinier français en difficulté. Le navire est arrivé endommagé et sans gouvernail. Son équipage s'est même mutiné dans l'espoir de rester à terre ! FitzRoy y remet de l'ordre non sans faire preuve de sa forte autorité naturelle, et somme le navire de retourner à Buenos-Aires avec les deux prisonniers. Désormais, il ne reste plus sur l'île que les deux Gauchos qui avaient accompagné Darwin dans son périple à cheval. Ce sont les seuls hommes tenus à l'écart des événements récents. Seront-ils loyaux envers M. Smith ? Darwin ose l'espérer. L'avenir lui donnera raison.
Commentaires
Enregistrer un commentaire