[1833] Le Beagle arrive aux Malouines

Le 1er mars 1833, le HMS Beagle arrive aux îles Malouines (ou îles Falkland). Et première surprise pour Darwin, cet archipel est désormais possession britannique ! Les îles Malouines furent découvertes par Amerigo Vespucci au XVIème siècle, mais restèrent inhabitées jusqu'en 1764, lorsqu'une expédition française menée par Louis-Antoine de Bougainville vogua pour les coloniser. L'établissement fut baptisé Port Saint Louis.

La colonie originelle de Port Saint Louis. (Dom Pernety, 1769)

La colonie comptait, en 1765, pas moins de 75 habitants. Principalement des Acadiens, jusqu'à ce que l'île soit cédée à l'Espagne. Bougainville réalisa le voyage en personne pour siéger à la cérémonie de cession de Port Saint Louis qui se déroula le 1er avril 1767. Le sort de la colonie fut confié à Felipe Ruiz Puente, premier gouverneur espagnol des Malouines. Les termes négociées lors de cette cession exigeant le départ des français, ils furent remplacés par des espagnols et Port Saint-Louis fut rebaptisée Port Soledad. La petite colonie comptait 103 habitants en 1781, dont 50 soldats.

La principale activité des colons était l'élevage : le cheptel total s'élevait en 1778 à 2180 têtes de bétail et 166 chevaux. Les nombreux baleiniers et chasseurs de phoques français, anglais ou américains qui venaient mouiller dans la petite baie étaient prétexte à commercer avec le monde extérieur. Mais lorsque le vice-roi Francisco Javier de Elío ordonna en 1811 le retrait des troupes de Puerto Soledad afin de lutter contre les insurgés de Buenos Aires, la colonie commença son déclin. Et bien que toujours officiellement revendiquée par l'Espagne, Puerto Soledad fut abandonnée par ses colons. Elle devint une coquille vide abritant à l'occasion baleiniers et chasseurs de phoques.

En 1828, l'allemand Luis Vernet entreprit d'y fonder un nouvel établissement sous l'autorité du gouvernement indépendant de Buenos Aires. Vernet, conscient des revendications britanniques sur les Malouines, avait également demandé la permission au consulat britannique. Cette nouvelle colonie, établie sur le même site de Port Saint-Louis, fut rebaptisée Puerto Luis (Port-Louis). Les Provinces-Unies proclamèrent Luis Vernet gouverneur des îles en 1829. Mais un incident provoqua une première intervention britannique. En 1831, Vernet fait saisir trois navires américains qu'il accuse de braconnage. L'incident, que le gouverneur des Malouines pense tourner à son avantage, va se retourner contre lui. Vernet rentre sur le continent afin de faire juger les officiers américains, mais l'affaire tourne au fiasco pour notre personnage. Le consul des États-Unis proteste violemment, et Vernet se retrouve accusé de piraterie !

Vernet finit libéré et lavé de toute inculpation, seulement il est désormais hors-jeu aux Malouines. Comme il déclare la colonie détruite (laissant sur place ses employés gauchos impayés et les colons dont il a la charge !), les îles sont déclarées exemptes de tout gouvernement. Le bureau des Affaires étrangères britannique s'intéresse de prêt à la situation. Les Malouines sont "vacantes" pour ainsi dire, et l'Angleterre entend bien en profiter pour faire valoir ses revendications sur l'archipel. Mais le gouvernement des Provinces-Unies de Buenos-Aires ne veut pas se faire berner si facilement. Le major Esteban Mestivier est nommé gouverneur avec pour mission d'établir une colonie pénitentiaire. Sauf qu'à son arrivée à Puerto Luis en 1832, ses soldats se mutinent et le tuent.


La Goélette ARA Sarandí

En réponse, le gouvernement de Buenos-Aires envoie la goélette ARA Sarandí, commandée par le major José María Pinedo, pour rétablir l'ordre. Ce que ce dernier exécute avec succès. Fin 1832, la situation est de nouveau stable aux Malouines. Pendant ce temps, les Anglais terminent les préparatifs d'une expédition belliqueuse, placée sous le commandement du capitaine John James Onslow. Stationné à Rio de Janeiro, le brick-sloop HMS Clio rejoint le HMS Tyne, avec ordre de prendre possession de la colonie par la force.

Onslow arrive à Puerto Louis le 2 janvier 1833. Le commandant signifie à Pinedo que le drapeau anglais remplacera désormais le drapeau argentin, et qu'il doit quitter les lieux sans aucune discussion. Pinedo songe à défendre Puerto Luis, mais doit rapidement abandonner l'idée, la plupart de ses soldats étant des mercenaires britanniques fidèles à leur pays ! C'est ainsi que le HMS Beagle entre dans la baie de Puerto Luis dans un contexte politique tendu, alors que l'Union Jack flotte depuis le 3 janvier 1833 au-dessus de la colonie. S'en suivit une dispute entre l'Argentine et l'Angleterre, qui se poursuit encore aujourd'hui et dont l'épisode militaire le plus récent fut la guerre des Malouines, en 1982. Les îles Malouines sont aujourd'hui un territoire d'outre-mer britannique autonome.


Timbre commémoratif de 2008 représentant la prise de possession des Malouines (3 janvier 1833)

Mais revenons à l'arrivée du HMS Beagle. Dans son Journal de Bord, Charles Darwin coupe court à une vieille polémique qui prétend que les Anglais chassèrent les colons argentins. Il n'en fut rien, puisqu'il précise que « 20 espagnols & trois femmes » habitant le petit port. Il dresse aussi le portrait de William Dixon, magasinier au service de Vernet et que ce dernier avait abandonné sur place. Étant britannique, Dixon fut officiellement chargé du drapeau britannique par le capitaine Onslow. « Il est surprenant de voir comment les Anglais trouvent leur chemin dans tous les coins du globe » Charles Darwin, Journal de Bord. L'affaire Vernet n'est cependant pas encore close, comme nous le verrons dans les prochains jours ! Quand au capitaine FitzRoy, il va devoir prendre temporairement le relais militaire du capitaine Onslow, et notamment arbitrer la gestion des terres privées, bétail et des employés laissés sur place par Vernet. De même, il lui faudra résoudre la situation dramatique d'un équipage de baleiniers français, échoué sur la grève depuis les terribles tempêtes australes du 12-13 janvier 1833.

Port Louis resta la seule colonie et centre administratif des îles Malouines jusqu'à ce que la capitale fût déplacée à Stanley en 1845. Cet événement marqua le déclin final de la colonie, assez rapidement abandonnée en l'espace de deux décennies. De nos jours, le site est quasiment désert, à l'exception de quelques bâtiments agricoles, un quai rudimentaire et un entrepôt. L'ancien cimetière de la colonie ainsi que différentes ruines sont cependant bien visibles sur les clichés aériens. Quant à Darwin, même s'il relate en partie les événements politiques dans lesquels se retrouvent mêlé le HMS Beagle, il va comme à son habitude se concentrer avant tout sur les sciences naturelles.


Vue satellite des ruines de Port Louis


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