[1833] L'Uranie et sa passagère clandestine

Mars 1833, aux îles Malouines, Darwin retrouve des débris appartenant à la gabare française L'Uranie, qui fit naufrage dans la baie Accaron au Nord-Est de l'archipel, entre les 14 et 15 février 1820. Cette expédition scientifique française considérée comme un cuisant échec par la plupart des historiens connut pourtant quelques épisodes glorieux. Mais revenons le temps d'un billet sur cette aventure malheureuse. L'Uranie part de Toulon en 1817. Alors qu'elle réussit son tour du monde en franchissant le cap Horn depuis le Pacifique le 8 février 1820, la gabare est malmenée par les conditions météorologiques aux Malouines. Cette étape lui sera fatale.


L'Uranie - gravure anonyme


Treize ans plus tard, Charles Darwin découvre non sans tristesse les débris de ce bâtiment français. L'infortune de L'Uranie ne peut que lui serrer le cœur, lui qui est embarqué dans une expédition d'exploration similaire. A l'infortune de mer, se rajoute l'oubli du grand public. Car cet épisode maritime très peu connu en France mériterait bien un éclairage féministe nouveau. Et pour cause, sur L'Uranie s'embarqua clandestinement Rose de Freycinet, la femme du commandant de l'expédition Louis de Freycinet ! Éprise de liberté et de voyages, Rose de Freycinet n'eut d'autres choix que de se déguiser en marin afin de suivre son époux et épancher sa soif d'aventure. Elle ne révéla son identité après que le navire ait dépassé Gibraltar. Trop tard pour faire demi-tour !

Mais ne prenez pas Rose pour une femme introvertie. Elle se fit rapidement respecter de l'équipage, et agrémenta la traversée en jouant de la guitare à bord. Devenue la mascotte féminine de l'expédition, une petite île rocheuse perdue en plein Océan Pacifique fut baptisée "Rose" en son honneur. Les officiers y voyaient une manière courtoise d'immortaliser sa fière solitude féminine au sein de ce microcosme masculin de marins.

Après l'expédition malheureuse de L'Uranie, sa cousine la convainquit d'écrire son journal de voyage. Ce texte se révéla un précieux document d'observatrice sociologue. Mais comble de malchance, il ne fut jamais publié de son vivant ! Le précieux document ne paraîtra qu'en 1927. Dans un univers d'hommes, les femmes n'ont hélas guère de place. Et pourtant ! Aventurière, femme libre, exploratrice, matelot clandestine et écrivaine témoin de ce début de XIXème siècle, Rose de Freycinet est une figure féminine oubliée à laquelle il nous faudrait rendre bien plus souvent hommage.


Portrait de Rose de Freycinet à 17 ans


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