[1833] Une Goélette se joint au service du Beagle

Entre les 15 et 17 juillet 1833, l'équipage organise une petite cérémonie de baptême en l'honneur de la Goélette Adventure, anciennement l'Unicorn. Il s'agit alors de fêter dignement l'ajout d'un navire de conserve (un « compagnon de route » en quelque sorte) au HMS Beagle. Et quoi de mieux, pour baptiser un navire explorateur, que de le nommer Adventure, en souvenir du navire-amiral lors de la première expédition du Beagle, ou encore du nom d'un des navires du Capitaine Cook ?

Mais revenons sur l'histoire de cette Goélette. Fin mars 1833, alors que le HMS Beagle fait escale aux îles Malouines, arrive à Port-Louis en piteux état une Goélette phoquier américaine, "The Unicorn". So co-propriétaire, le Capitaine Lowe, a dépensé l'intégralité de sa fortune pour armer ce navire et espérer réaliser une belle saison de chasse en mer. L'homme n'en est pas à sa première campagne, cela fait vingt ans qu'il est phoquier. Mais les six mois d'infortune en mer qu'il vient de traverser l'ont littéralement ruiné. Après avoir connu les pires conditions début 1833 au Cap Horn, il arrive aux Malouines sans un sou, transportant même à son bord l'équipage naufragé d'une autre Goélette (Le Transport) qui eut encore moins de chance que lui.


Chasse à l'éléphant de mer en Antarctique au XIXème siècle. Dessin par H. W. Elliott d'après le Capt. H. C. Chester

FitzRoy et Darwin apprennent de Mr Lowe qu'au total, ce sont pas moins de trois naufrages qui eurent lieu durant la tempête dans le passage de Drake aux 12-13 janvier dernier. Le Beagle, bien que déporté violemment, eut énormément de chance de ne pas sombrer pas à son tour ! « Peu de navires auraient mieux résisté que notre petit "canard boiteux" » note affectueusement Darwin dans son Journal de Bord. En effet, les bricks-sloops de la classe Cherokee dont faisait partie le Beagle avaient assez mauvaise réputation auprès des marins anglais de l'époque. Et pour cause, près le la moitié de ces navires sombrèrent en mer !

Le Capitaine FitzRoy a cependant quelques projets pour le Unicorn. Comme il lui semble nécessaire de s'octroyer les services d'un navire de conserve pour renforcer le succès de sa mission autour du Monde, FitzRoy décide d'acheter cette Goélette qui tient parfaitement la mer (sa survie durant les tempêtes australes de janvier en étant la meilleure preuve). Mr Lowe étant autorisé par ses associés à disposer comme il l'entendrait de la Goélette en cas d'échec de leur campagne en mer, il accepte la proposition. La transaction s'élève pour l'époque à 6000 dollars, soit 1300 livres sterling. Une partie de l'équipage est rembauchée par FitzRoy. L'autre partie, intéressée au bénéfice de la vente des prises, choisit d'être payée avec les faibles gains tirés de la modeste marchandise chassée durant cette funeste saison. Ils restèrent ensuite sur place, le temps de se trouver un autre emploi à bord des navires de passage aux Malouines.

Nous en apprenons un peu plus sur cette Goélette dans les Narratives de FitzRoy. Elle fut construite à Rochester comme yacht privé pour un dénommé M. Perkins, et lui coûta au moins six mille livres pour sa construction et ses premiers équipements. Peu de temps après, elle fut armée et utilisée par Lord Cochrane en Méditerranée ; puis elle fut équipée par un marchand pour briser le blocus brésilien du Rio de la Plata & de Buenos Aires (1826-28). Malheureusement capturée par un commandant brésilien, elle fut transportée à Montevideo et vendue à M. Hood, le Consul britannique, qui s'en servit à titre personnel pour ramener avec lui sa famille d'Angleterre. Après quoi, elle fut revendue à Mr. Lowe et ses associés qui l'équipèrent pour en faire une Goélette phoquier. Vous connaissez désormais la suite de l'histoire.

La Goélette suivit le Beagle jusqu'à Montevideo, où le paiement s'effectua auprès des associés de Mr Lowe. Après quoi elle se rendit à Maldonado pour y subir d'indispensables réfections. Dans ses Narratives (vol. 2), FitzRoy la présente comme un solide navire de cent soixante-dix tonneaux, construit en chêne et solidement fixée en cuivre. Une Goélette qu'il juge « très spacieuse, un bon voilier, extrêmement maniable et navire de premier ordre » FitzRoy, Narratives (vol. 2). Différents membres d'équipage du Beagle se portent volontaire pour assister l'équipage de l'Unicorn, dont Mr. Chaffers, le "Premier Maître" à bord du Beagle. Cependant dans un proche avenir, le Capitaine FitzRoy envisage d'en donner le futur commandement au Lieutenant Wickham.

Sauf que ce dernier est déjà aux commandes d'un autre navire ! Rappelons que le Messieurs Stokes & Mellersh opèrent à bord de la Goélette La Paz, le Lieutenant Wickham et l'aspirant King à bord de la Goélette La Liebre. Ces deux Goélettes ont été louées dès septembre 1832 par le capitaine FitzRoy sur ses deniers personnels. Leur missions consiste alors à approfondir le travail de cartographie le long des côtes argentines. Nous pouvons donc en déduire qu'au cours de l'année 1833 (mars à octobre), le Beagle fut pour ainsi dire le "navire amiral" d'une petite flottille d'exploration forte de quatre navires ! Courant avril 1833, le Beagle et l'Unicorn ont traversé l'Atlantique Sud jusqu'à l'embouchure du Rio Negro en Argentine. C'est à cet endroit que rendez-vous avait été donné aux deux Goélettes louées. Hélas, le mauvais temps contrarie les projets, et les navires se ratent de peu. Voile fut alors au 19 avril 1833 mise vers le Rio de la Plata : FitzRoy doit y régler la vente à Montevideo et faire réparer la Goélette l'Unicorn à Maldonado. 

Mais n'allons pas trop vite en besogne. Une fois arrivé à Maldonado fin avril 1833, la Goélette l'Unicorn a besoin d'un radoub indispensable pour réparer sa coque malmenée au Cap Horn. Il faut aussi modifier ses aménagements intérieurs ; entre les 3 et 7 juillet 1833, Darwin écrivait que les marins de l'équipage du Beagle s'improvisant charpentiers n'avaient pas encore achevé les travaux. Enfin, le Capitaine FitzRoy doit aussi acheter de nouvelles ancres, des cordages et divers approvisionnements, pour un montant de 216 livres sterling. Une petite arnaque, si l'on en croit les sous-officiers du Beagle, qui se plaignent auprès du Capitaine du prix de ces articles trois fois plus élevés que dans des ports européens !  

FitzRoy ne veut cependant pas perdre plus de temps. En attendant que les travaux de réfection de l'Unicorn s'achèvent, il loue une Goélette pour retrouver La Liebre et ramener le Lieutenant Wickham et plusieurs membres d 'équipage. Tout ce petit monde est de retour à Maldonado le 27 mai 1833. Les retrouvailles sont joyeuses. Ils n'en pouvaient plus de ce petit navire contiguë, et eux aussi ont souffert de la tempête de janvier 1833. La Paz et La Liebre opèrent encore au large de l'Argentine, désormais sous les ordres de Mr. Stockes. Patience, le 3 août 1833, l'Adventure et le Beagle retrouveront d'abord la Goélette La Liebre au rendez-vous fixé à l'embouchure du Rio Negro. Mais pour le moment, célébrons avec l'équipage le baptême de l'Unicorn désormais connue sous l'illustre nom d'Adventure !

Commentaires

Articles les plus consultés en ce moment :

[1833] Le mauvais temps contrarie les projets de Darwin

[1833] Des îles Malouines jusqu'au Rio Negro

Darwin et la géologie des îles Malouines