[1833] Le récit du HMS Black Joke

Le 8 juillet 1833, Darwin relate dans son Journal de Bord un épisode à bord qui bouleverse l'équipage du Beagle. L'Unicorn, Goélette achetée aux îles Malouines par le capitaine FitzRoy afin d'épauler le Beagle dans sa mission cartographique, est actuellement en réfection à Maldonado. Lorsqu'on découvre que se cache parmi son équipage un authentique pirate ! En effet, l'un des seconds maîtres d'équipage aurait appartenu au Presidenté, un navire pirate qui combattit contre le vaisseau de guerre HMS Black Joke et massacra les passagers du paquebot Redpole. Sans plus attendre, le capitaine FitzRoy a décidé de livrer cet homme comme prisonnier au Consul de Montevideo. Aussi, peu avant minuit, le HMS Beagle fit voile vers la proche ville uruguayenne.

Cette anecdote se place au centre du conflit naval qui opposa la Royal Navy aux contrebandiers négriers. L'Angleterre abolit la traite négrière en 1807. Sous l'impulsion franco-britannique, le Congrès de Vienne la déclara illégale en 1815. Bien avant l'accord franco-britannique de 1831 autorisant leurs marines respectives à arraisonner les bâtiments suspects, la Royal Navy menait déjà des combats en mer contre les trafiquants d'esclave. A la lecture des positions abolitionnistes passionnées de Charles Darwin dans son Journal de Bord, il devait certainement avoir entendu parler des exploits du Clipper Black Joke. Ce second maître de l'Unicorn démasqué, l'affaire ne pouvait donc que retenir son attention. Et voici une belle occasion de revenir sur les aventures épiques du Black Joke, cet ancien navire négrier devenu une figure de proue de la lutte contre l'esclavage !


Le HMS Black Joke faisant feu sur le Brick El Almirante (janvier 1829), par Nicholas Matthews Condy.


Ce n'est pas la première fois que Darwin nous parle du Black Joke. Le 4 juillet 1832, le jeune naturaliste relatait dans son Journal de Bord le tragique décès de Morgan (?), un des marins embarqués à bord du Beagle, et mort d'une fièvre contractée au Brésil lors d'une expédition de chasse. Darwin évoquait les faits d'arme de ce homme d'exception, notamment sa participation lors de l'abordage du bateau négrier Black Joke. Ce qui est exact, puisque le HMS Black Joke fut à l'origine un petit Clipper ou Brigantin construit à Baltimore en 1824. Il servit durant ses premières années à des fins privés comme navire négrier brésilien sous le nom de Henriquetta. Dans le cadre de la lutte de la Royal Navy contre le trafic négrier, le HMS Sybille le captura et le réaffecta à son service en 1827. C'est à cette occasion que le marin Morgan s'illustra courageusement au combat.

Au moment de sa capture, le Henriquetta transportait pas moins de 569 esclaves africains dans ses cales ! La Royal Navy rebaptisa le Clipper-Brigantin sous le nom de « Black Joke » en référence à une chanson paillarde irlandaise fort populaire au XVIIIème siècle, le Clipper devait notamment assister le HMS Sybille au cours de ses missions en mer. Aussi le Black Joke fut durant cette première année sous les ordres du lieutenant William Turner du Sybille. Au cours ses années de service, il accompagna au fil des missions d'autres bâtiments de l'escadre chargée de capturer au large les navires négriers. Son équipage comprenait un chirurgien adjoint, trois aspirants, trente marins et cinq Royal Marines. Son armement ne comprenant qu'un seul canon de 18 livres monté sur pivot.

Le HMS Black Joke s'illustra par de nombreux faits d'arme qu'il serait trop long de citer en intégralité dans ce billet. Notons cependant quelques engagements restés célèbres à l'époque. Le 2 avril 1828, le Black Joke captura la Goélette négrière espagnole Gertrudes (155 esclaves à bord). Le 1er mai 1828, il fut victorieux face au navire pirate argentin Presidenté. Si son équipage fut jugé pour piraterie, d'anciens matelots débarqués peu de temps avant cet engagement échappèrent au procès. C'est le cas de notre second maître qui, une fois démasqué, fut mis aux fers par le capitaine FitzRoy. Le 16 mai 1828, le Black Joke réussit l'arraisonnement après combat du Vengator, Brick négrier transportant 645 esclaves (la plus importante capture négrière de l'époque). Lors d'une célèbre action menée le 26 avril 1831 en renfort du HMS Dryad, le Black Joke captura le Brick espagnol Marinerito : quinze matelots ennemis furent tués, une seule perte anglaise à déplorer et quatre blessés. Sur les 496 esclaves embarqués, 26 sont découverts morts dans des conditions épouvantables. Les survivants furent débarqués libres au Sierra Leone.

Les faits d'arme élogieux du Black Joke lors de ses engagements en soutien d'autres bâtiments de la Royal Navy se poursuivent jusqu'en 1832. Au total, le Clipper-Brigantin Black Joke captura 11 des 13 prises de son escadron en chasse dans l'Atlantique Sud entre 1828 et 1832 ! Hélas, une inspection technique de la Royal Navy déclara que ses bois étaient pourris, le rendant inapte au service. Il fut décidé que le bâtiment serait brûlé en mer le 3 mai 1832. Lorsque l'ordre fut donné, Peter Leonard, chirurgien à bord du HMS Dryad déployé en Atlantique Sud pour lutter contre le trafic négrier, écrivit au sujet du Black Joke : « il a fait plus pour mettre fin à l'ignoble trafic d'esclaves que tous les navires de la station réunis [ndlr : référence aux bâtiments de la Royal Navy déployés dans ce secteur] ». Un bel hommage pour ce vaisseau symbole de la guerre contre le trafic négrier.


Le HMS Black Joke et quelques-unes de ses prises représentées en contrebas (dans le sens horaire à partir du haut à gauche) : le Brick espagnol Providentia ; le Brick brésilien Vengador ; le pirate argentin Presidenté ; le Brigantin El Hassey ; le Brick espagnol El Almirante et le Brigantin Marianna. Illustration d'époque par Irwin Bevan.

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