[1832] Un Pigeon nommé Pétrel

Difficile de voyager à bord d'un voilier lorsqu'on est sujet au mal de mer ! Le 11 juillet 1832, le HMS Beagle poursuit son périple depuis Rio de Janeiro en direction de Maldonado. Darwin s'est senti nauséeux durant ces derniers jours, aussi se désole-t-il d'avoir certainement raté de nombreuses observations naturalistes depuis le large. « Plusieurs baleines ont été aperçues. Je me contentai de jeter un regard à l'une d'elles, mais, à cela même, mes yeux injectés de bile ne trouvèrent que peu d'intérêt ». Charles Darwin, Journal de Bord.

Pour autant, Darwin remarque péniblement que des Pétrels n'ont de cesse de suivre le sillage du Beagle. Dont parmi eux, le « Pigeon du Cap ». Il ne s'agit pas d'un Columbidé, bien entendu, mais d'un Procellariidé présent dans l'Hémisphère Sud. Autrefois nommé Pétrel du Cap, le Damier du Cap (Daption capense) est un oiseaux marin exceptionnel. Comme tous les oiseaux pélagiques, il présente des adaptations spécifiques au milieu marin qui leur permettent de vivre la plupart du temps en haute mer, et ne revient sur terre que pour y nicher.


Damier du Cap - Pavel Parkhaev - Afrique du Sud - 2016

Les Pétrels sont d'excellents voiliers, tirant parti des vents portants même en pleine tempête. Leur plumage imperméable leur permet de se poser sur l'eau, parfois en radeaux comptant des dizaines, voire de centaines d'individus ! Leur odorat très développé leur permet de repérer leur nourriture à des kilomètres de distance. S'il se nourrit principalement de krill (80% de son régime alimentaire), le Damier du Cap recherche aussi les charognes flottant à la surface de l'océan, ainsi que les déchets organiques des bateaux. Gageons que le HMS Beagle avait rejeté dans son sillage divers déchets ménagers. Les Pétrels, alléchés par cet appétissant fumet, s'étaient empressés de suivre ce navire. Ce même comportement explique pourquoi les Procellaridés s'approchent facilement des bateaux de pêche. En ornithologie marine ou seawatching, la technique du « chumming » s'en inspire également ; il suffit de jeter depuis un navire des appâts baignés dans l'huile de poisson pour attirer à coup sûr des oiseaux pélagiques !

Parmi les autres adaptations remarquables propres aux oiseaux marins, ils disposent à la base de leur bec de glandes à sel reliées à leurs narines tubulaires. Cette adaptation physiologique leur permet d'éliminer le sel lorsqu'ils ingèrent de l'eau de mer, solution hypertonique qui pourrait perturber leur homéostasie. Ainsi peut-on observer parfois, chez des individus posés, une goutte hypersalée perlant le long du bec !

Le plumage caractéristique du Damier du Cap le rend impossible à confondre avec d'autres Pétrels. Darwin ne pouvait s'y méprendre en notant ses motifs à damier noir et blanc. De plus, cet oiseau présente un comportement qui facilite son identification. Le Damier du Cap "court sur l'eau" comme le font les Océanites. Facilement attiré par les bateaux de pêche, il marque aussi l'attention par son vol adroit et glissé lorsqu'il dépasse les navires.

Ce bel oiseau marin se reproduit de novembre à avril sur des îlots rocheux et falaises, couvrant alors la saison de l'été austral. En juillet 1832, Darwin observe des individus en plein érratisme internuptial. Il y a fort à parier que ces oiseaux provenaient des colonies des îles subantarctiques, situées bien plus au sud de la position du HMS Beagle ! Car au vu de la position géographique du brick-sloop, il s'agirait d'individus de la sous-espèce nominale Daption capense capense.

Le Damier du Cap est classé LC sur la liste rouge de l'IUCN. Et pour cause, ses effectifs comptent actuellement plusieurs millions d'individus ! La sous-espèce présente en Océanie subantarctique Daption capense australe est quant à elle plus fragile, avec quelques milliers de couples seulement. Cependant, les effectifs pléthoriques du Damier du Cap ne doivent pas faire oublier les menaces dont sont actuellement victimes les oiseaux pélagiques : prises accidentelles de pêche, déchets plastiques, prédation d'espèces introduites sur les sites de nidification ; Les temps sont durs pour ces fabuleux voiliers à plumes.


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