[1832] Les wigwams des Fuégiens
Fin décembre 1832, le mauvais temps ne permet pas à l'équipage du HMS Beagle de poursuivre sa navigation à travers le canal de Drake. Ces journées du 27 au 29 décembre ne sont cependant pas perdues puisque le capitaine FitzRoy embarque dans sa baleinière pour reconnaître les rivages des îles L'Hermite. Darwin l'accompagne à bord.
Dans la plupart des anses, les deux explorateurs rencontrent des wigwams. Il s'agit d'habitations temporaires et traditionnelles des Fuégiens. La construction, qui peut sembler sommaire, consiste en un assemblage circulaire de joncs tressés et d'herbes pour une hauteur moyenne de 1,3 mètres. Darwin donne assez peu d'indications sur cette tribu dont il observe les huttes "d'habitations aussi misérables". Il se contente de décrire les tas d'ossements et coquillages aux abords, ainsi que le Céleri sauvage et la Cochléaire qui poussent sur ce terrain ainsi amendé. Malheureusement selon Darwin, les Fuégiens ne semblent pas tirer parti de la culture de ces végétaux pour améliorer leur quotidien. Il faudra attendre notamment les comptes-rendus de Paul Hariot, membre de la Mission scientifique française du cap Horn (1882-1883), pour dresser une liste exhaustive des plantes vasculaires. Nous y trouvons ainsi mention de l'Apiacée Apium graveolens, notre fameux céleri, que Hariot décrit comme proliférant sur les « amas de coquilles laissés par les indigènes » (Hariot, 1884) et que les Fuégiens nomment "ouchoum". Possible confusion avec Apium prostratum, espèce australe abondante en Terre de Feu.
Hutte fuégienne (cliché de Doze et Payen, 1882-83) - Mission archéologique du Cap Horn |
Une fois de plus, les descriptions de Darwin sont peu élogieuses envers ces peuplades amérindiennes. Il vient, sans le savoir, de décrire les habitations de Yamanas, des chasseurs-cueilleurs marins dont la culture remonte au Pléistocène ! Il ne s'agit cependant pas la même tribu que les Fuégiens embarqués par le HMS Beagle lors de sa première expédition et de retour en Terre de Feu. Pour simplifier, voici les noms amérindiens (entre parenthèse leurs noms de baptême occidentalisés) ainsi que les tribus respectives des trois Fuégiens à bord du Beagle.
- Orundellico (Jemmy Button) était de la tribu des Yahgan.
- Elleparu (Fuegia Basket) était de la tribu des Alakaluf.
- Yokcushlu (York Minister), lui aussi était un Alakaluf.
Les Yamanas étaient le peuple le plus austral de tous les Fuégiens. Comme il existait une forte rivalité entre tribus fuégiennes, Jemmy Button et York Minister ne ratent pas une occasion pour dénigrer les Selk'nams et Mánekenks (chasseurs terrestres) et les Yamanas (chasseurs marins) rencontrés. En longeant le Cap Peñas le 16 décembre 1832, York Minster et Jemmy Button exhortent le capitaine de faire feu sur des Selk'nams visibles sur le rivage ! Mais la différence est aussi linguistique ! Les fuégiens rencontrés le 18 décembre 1832 étaient Mánekenks, c'est pourquoi Jemmy fut incapable de parler avec eux à terre, à Bon-Succès.
Mise à part ces rivalités et leurs conséquences guerrières, la culture des Yamanas échappe complètement aux descriptions sommaires de Darwin. Or ce peuple de chasseurs-cueilleurs marins exploitait le littoral avec soin, se déplaçant régulièrement pour pêcher des fruits de mer le long des côtes. Les wigwams n'ont donc rien d'habitations misérables, dans la mesure où elles assurent un abri temporaire et non permanent pour ce peuple aux modes de vie adaptées aux rudesses de la côte américaine australe.
Les chasseurs-cueilleurs de Patagonie : principaux groupes ethniques. Source en ligne |
Nous savons désormais que ses jugements hâtifs furent en partie revus dans ses ouvrages ultérieurs, comme dans L'Expression des émotions chez l'homme et les animaux et La Filiation de l'Homme, dès lors qu'il tenta d'identifier chez les Fuégiens des preuves susceptibles d'appuyer ses hypothèses sur l'origine commune de l'Humanité. Il s'appuya notamment sur les descriptions que put lui faire parvenir le missionnaire Thomas Bridges aux Malouines. Mais pour autant, Darwin ne pensa jamais qu'il était nécessaire de préserver l'héritage culturel des fuégiennes. Bien au contraire, il voyait d'un bon œil l'œuvre "civilisationnelle" des missionnaires en Patagonie sans se soucier de la perte d'identité ethnologique qu'il en résulterait.
Hélas, le destin des Fuégiens devait être plus tragique encore. Exterminés, victimes de nos maladies, leur gibier anéanti, ils ne résistèrent pas à la cupidité de l'homme blanc s'avançant toujours plus au Sud du continent américain. Si nous possédons bon nombre de documents écrits sur leur langage et leur culture, cette masse de savoir couchée sur le papier ne remplacera jamais la voix désormais éteinte de ces peuples amérindiens.
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