[1832] Les sombres forêts de la Terre de Feu

Le 19 décembre 1832, Darwin explore les alentours de la Baie de Bon-Succès. « Il n'y a pas de terrain plat et toutes les collines sont couvertes de bois si épais qu'ils en sont tout à fait impénétrables » Charles Darwin, Journal de Bord. Pour s'enfoncer dans ces sous-bois obscurs, Darwin se fraye un chemin le long d'un torrent de montagne. Les rives, brutalement dégagées lors de la dernière crue, lui offrent une piste bien difficile à arpenter.

Darwin n'explore pas seul ce paysage digne de la forêt de Mirkwood de Tolkien. Il est armé, et un matelot du HMS Beagle l'accompagne. En chemin, il prend cependant le temps de décrire le Hêtre austral ou Hêtre de l'Antarctique (Nothofagus antarctica). Si cet arbre est aussi surnommé "faux hêtre", c'est parce qu'il n'appartient pas à la famille des Fagacées comme Fagus sylvatica, mais à celle des Nothofagacées, une famille cependant voisine car appartenant au même Ordre des Fagales.

Les bois de la Terre de Feu sont décrits comme une communauté végétale fort simple : le Hêtre austral prédomine (Nothofagus antarctica), le Bouleau (Betula sp.) et l’Écorce de Winter (Drimys winteri) se font rares. Alors qu'ils remontent le cours du torrent jusqu'à sa source, il atteignent un marécage, sorte de tourbière dans laquelle prolifèrent les joncs (Juncus sp.). Sur ce point culminant, les arbres ne sont pas très hauts, mais touffus. Un signe manifeste d'anémomorphose. Leurs troncs sont couverts de lichens, cependant Darwin ne s'attarde guère sur ce taxon symbiotique aussi complexe que passionnant. Le sol est jonché de bois en décomposition, supposant l'existence de riches micro-écosystèmes. « La quantité d'arbres tombés & en décomposition me rappelait la forêt tropicale. Mais dans cette solitude silencieuse, ce n'est pas le souffle de la vie, mais celui de la mort qui prédomine » Charles Darwin, op. cit.

Ce paysage forestier à la fois sauvage et grandiose ravit Darwin. « En regardant autour de moi, j'éprouvai un ravissement qui était rendu plus intense par le fait de savoir que cette partie de la forêt n'avait jamais été auparavant traversée par l'homme » Charles Darwin, op. cit. Cette Terra nullius au sens invoqué par les Britanniques dès lors qu'ils colonisaient de lointaines contrées n'est pourtant pas inhabitée, les Fuégiens la parcourent encore librement. Mais en ce jour de ravissement floristique, Darwin ne s'en soucie guère et contribue à jeter les bases de la botanique de l'Amérique australe.


Forêt typique d'Hêtre de l'Antarctique en Terre de Feu. (Ñires. Bosque de ñires. Patagonia. Argentina, @bosquedepalermo / Pinterest)


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