[1832] La Grande île de la Terre de Feu est en vue !

Le 15 décembre 1832, le HMS Beagle arrive en vue de la Terre de Feu. C'est le dénouement de 11 jours de mer depuis Bahia San Blas. Le brouillard ne dissimule pas pour autant les terres basses au Sud du Détroit de Magellan. Cependant, le HMS Beagle ne compte pas emprunter ce mythique passage. Le capitaine FitzRoy a pour projet de pousser jusqu'à la Baie Nassau, en doublant dès que possible le Cap Horn. Un objectif redoutable pour les navires à voile des siècles passés.

Les prochains jours de navigation nous sont relatés aussi bien dans le Journal de Bord de Charles Darwin que dans les Narratives du Capitaine FitzRoy. A partir du 16 décembre 1832, le HMS Beagle va longer la Grande île de la Terre de Feu, un peu au sud du Cap Saint-Sébastien. Le brick-sloop double ensuite le Cap Sunday et le Cap Peñas. Le capitaine décide de jeter l'ancre devant Santa Inez. Le Beagle y reste une partie de la nuit. Mais vers trois heures du matin, le mauvais temps l'incite à reprendre sa route.

Le 17 décembre 1832. Le HMS Beagle pousse jusqu'au Cap San Diego puis s'engage dans le détroit de Le Maire. Enfin, c'est l'arrivée dans la Baie de Bon-Succès (Buen Suceso) où le brick-sloop reste au mouillage. Le navire s'est fait remarquer, puisque des groupes d'indigènes les observent depuis la côte. Darwin et FitzRoy ne manquent pas de relater ces premiers contacts depuis le Cap Peñas puis le long de la Baie de Buen Suceso. Trois civils à bord du HMS Beagle prêtent aussi une attention toute particulière aux feux allumés par les Amérindiens. Ce sont les fameux passagers fuégiens que le capitaine s'est promis de ramener chez eux.

Mais qui sont ces personnages, et par quel hasard se retrouvèrent-ils en Angleterre ? Leur étonnant récit débute alors que le HMS Beagle participe à la précédente expédition en Amérique du Sud (1826-1830). Alors que des membres d'équipage débarquent sur une plage désolée de la Terre de Feu, des Fuégiens s'emparent de leur embarcation. Le lieutenant Robert FitzRoy, qui venait de reprendre le commandement du HMS Beagle après le décès de son précédent capitaine, n'entendait pas se laisser ainsi faire par ces natifs. Il donna la chasse aux Amérindiens. Après une échauffourée, il retint captives leurs familles. Finalement, FitzRoy se contenta de garder comme otages trois jeunes hommes et une jeune fille. Il espérait les ramener en Angleterre afin de "civiliser ces sauvages" en leur apprenant l'anglais, les convertir au christianisme, puis en faire de parfaits missionnaires qui reviendraient convertir leurs compatriotes.

L'équipage du HMS Beagle ne tarda pas à baptiser les captifs : Fuegia Basket pour la fille ; Jemmy Button (car le garçon fut finalement "acheté" à sa famille en échange de quelques boutons de vêtement !), York Minster et Boat Memory pour les garçons. Ce dernier mourut à son arrivé en Angleterre. FitzRoy tira une certaine gloire de cette affaire, notamment lorsque le missionnaire Richard Matthews présenta les progrès de ces "sauvages" devant la Cour durant l'été 1831. Il fut alors rapidement convenu qu'il était temps de ramener ces Fuégiens européanisés auprès de leurs tribus afin qu'ils les évangélisent à leur tour. C'est ainsi que les trois jeunes gens furent embarqués à bord du HMS Beagle pour sa seconde expédition. Darwin note leur arrivée à Plymouth dans son Journal de Bord à la date du 13 novembre 1831. Il les cite aussi sur le registre d'équipage mis à jour en juillet 1832.

Les trois jeunes Fuégiens sont d'intrigants personnages secondaires du récit de Darwin. Le capitaine FitzRoy revient plus longuement sur Jenny Button York Minster dans ses Narratives. A l'approche des côtes de la Terre de Feu, les deux jeunes hommes se montrent particulièrement euphoriques. Les Fuégiens qui observaient le brick-sloop depuis la côte se manifestaient de manière plutôt hostiles, selon les descriptions du Capitaine. Alors qu'ils doublent le Cap Peñas, York Minster et Jemmy Button s'alarmèrent de leur présence et demandèrent même au capitaine de faire feu sur ces « très mauvaises gens » ! S'agissait-il de membres d'une tribu rivale ?

Dès leur arrivée dans la Baie de Buen Suceso, d'autres Fuégiens se rassemblèrent sur le rivage pour observer le HMS Beagle au mouillage dans ces eaux abritées. Ils allumèrent de grands feux depuis la terre ferme. « Tandis que nous doublions l'entrée nord, un groupe de Fuégiens nous observait ; ils étaient perchés sur un pic sauvage surplombant la mer et entouré de bois » Charles Darwin, Journal de Bord. L’accueil est-il chaleureux ou hostile ? Difficile de juger. « D'un bond ils se mirent debout à notre passage et agitant leurs manteaux de peaux, ils poussèrent un grand cri sonore, qu'ils prolongèrent longtemps ». Les cris se répètent dans la soirée, les feux de camp allumés autour des wigwams dressés pour la nuit brillent depuis le rivage. FitzRoy dépêche à terre un équipe qu'il guide à la recherche d'un point d'eau. Aucun incident n'est à déplorer. Aussi est-il question d'accoster à leur rencontre dès le lendemain. Darwin et plusieurs officiers se portent volontaires. La journée qui va suivre marquera profondément notre jeune naturaliste.


Trajet du HMS Beagle du 15 au 17 décembre 1832


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