[1835] Sur les traces du Anna Pink de l'escadre Anson
Le début d'année 1835 n'est guère de tout repos pour l'équipage du HMS Beagle, qui doit faire face au mauvais temps de Patagonie chilienne ! Le fort vent de Nord-Ouest et la pluie battante n'incitent l'équipage qu'à achever au plus vite la cartographie de l'archipel Chonos, pour enfin faire voile vers des latitudes plus clémentes ! Le coup de tabac force le Capitaine FitzRoy à abriter le brick-sloop dans une petite crique, paradoxalement fort connue des marins britanniques depuis près d'un siècle. Et pour cause, l'abri figure dans la légende de l'expédition du Commodore Anson.
« Nous avons réussi seulement à traverser une sorte de grande baie et à mouiller dans un havre excellent. C'est là que l'Anna Pink, l'un des navires de l'escadre de Lord Anson, avait trouvé refuge au cours des événements désastreux qui l'avaient accablé ». Ainsi Charles Darwin renseigne-t-il la position du Beagle en cette journée du 4 janvier 1835. Il n'est pas étonnant que notre jeune naturaliste, grand amateur de récits de voyages maritimes, ait immédiatement songé à cette anecdote historique, lui qui possédait dans sa cabine un exemplaire des mémoires de Lord Anson ! Le Voyage autour du Monde du Commodore Anson (1740 - 1744) est à lui seul une formidable épopée navale, entreprise pendant la fameuse guerre de l'oreille de Jenkins entre la Grande-Bretagne et l'Espagne. Le Commodore Anson avait reçu pour mission de l'Amirauté de prendre la tête d'une escadre navale, de harceler les colonies espagnoles de l'océan Pacifique, et de capturer le galion de Manille. L'expédition, qui souffrit mille périls et déconvenues, revint pourtant triomphante au terme de ces quatre années intrépides en mer. Les amateurs d'aventure navale ne manqueront pas de se procurer le formidable ouvrage de David Grann, « Les Naufragés du Wager », qui relate la désastreuse aventure de ce vaisseau de ligne au cours de l'expédition.
L'escadre Anson à Sainte-Catherine (Brésil), gravure de 1750. Sources : BNF. Le Anna Pink est un des navires marchands sur les côtés. |
Sur cette crique sauvage de l'archipel Chonos, il n'est guère question du HMS Wager, mais du Anna Pink, un autre navire de l'escadre au destin particulièrement mouvementé ! Cet ancien navire charbonnier fut affrété par l'Amirauté dès 1739 afin d'assurer le fret militaire. La Royal Navy en fit l'acquisition définitive afin de transporter des provisions supplémentaires pour l'expédition. Il s'agit, avec le Industry, d'un des deux navires de ravitaillement de l'escadre. D'un tonnage de 400 t, elle était armée de 8 canons. Bien qu'officiellement baptisée Anna, les chroniqueurs marins l'appellent aussi « Anna Pink » en référence à sa classe de navire, le "Pink", un voilier doté d'une poupe étroite.
Ce bâtiment, initialement conçu pour livrer du charbon du Yorkshire à Londres, réussit tout de même l'exploit de franchir le Cap Horn en avril 1741. L'Anna et le HMS Pearl (navire de cinquième rang de 40 canons engagé dans l'escadre) furent cependant séparés des autres bâtiments. Le Commodore Anson avait donné pour consigne dans ce cas de rallier l'île Guamblin, dans l'archipel Chonos. Après avoir brièvement retrouvé le reste de l'escadre, l'Anna est à nouveau séparée le 24 avril par une violente tempête. Son Capitaine, M. Gerrard, ne manqua point à son devoir et se dirigea les semaines suivantes vers le point de ralliement. Mais peu de temps avant d'atteindre le rendez-vous, une violente tempête força le navire à se rapprocher des côtes, menaçant de chavirer sous l'assaut des vagues. Malgré les efforts désespérés de l'équipage, le pire semblait inévitable. Lorsque le navire fut projeté dans un havre inespéré.
Le navire marchand y demeura deux moins entiers, le temps que l'équipage chasse les nombreux phoques présents sur la grève et se remette lentement des affres du scorbut. Puis son Capitaine, ordonnant de reprendre la mer, se dirigea vers le second point de rendez-vous, l'île de Juan Fernandez. Un chance, puisque la plupart des navires de l'escadre s'y trouvaient toujours. Malheureusement, le navire arrivait en piteuse état et incapable de poursuivre l'aventure. Il fut donc désarmé et démantelé sur place. L'équipage se répartit à bord du HMS Gloucester (navire de ligne de quatrième rang de 50 canons) et du HMS Centurion (navire de ligne de quatrième rang de 60 canons).
La performance du navire charbonnier devait cependant grandement impressionner les officiers de la Royal Navy. Elle inspira le choix d'armer le Resolution (sloop marchand) pour le second voyage de Cook, et la baie qui l'accueillit pendant deux mois fut officiellement baptisée « baie Anna Pink ». En ce jour du 4 janvier 1835, deux légendes maritimes britanniques se croisèrent avec près de 94 ans d'écart, sans savoir que leurs périples respectifs rentreraient dans l'Histoire navale !
Carte tronquée de l'Archipel Chonos situant la baie Anna Pink (en bas à gauche) (d'après Wikimedia) |
Commentaires
Enregistrer un commentaire