[1835] La géologie de l'archipel Chonos

Comme vous le savez certainement, chers lecteurs de ce blog, Darwin se consacra majoritairement à la géologie durant son Voyage autour du monde à bord du HMS Beagle. Les Notes Géologiques de Darwin, qui consignent l'intégralité de ses observations terrain ainsi que la descriptions des quelques 2000 échantillons rocheux récoltés durant son Voyage représentent un travail deux fois plus conséquent que pour ses Notes zoologiques et Notes botaniques ! Et lors de la cartographie de l'archipel de Chonos par le Beagle, Darwin ne chôma pas. Quelques années après son retour en Angleterre, il inclut même ses observations dans son compte-rendu détaillé de la géologie d'Amérique méridionale, « Geological observations on South America » (1846). (image ci-contre : marteau de géologue ayant appartenu à C. Darwin durant son Voyage).

 Que nous révèle-t-il de la géologie de cet archipel chilien dans cet ouvrage ? Beaucoup d'informations, à vrai dire, même si les roches de Chonos et de Chiloé ne furent pas celles qui accaparèrent le plus son attention, les différentes strates, les fossiles collectés ainsi que les foliations des roches métamorphiques locales appuyèrent grandement son interprétation globale de la genèse du continent sud-américain. Et notamment l'idée centrale de ses observations géologiques et paléontologiques, à savoir que le sous-continent aurait connu une élévation graduelle au cours des âges passés. Même si les géologiques contemporains donnent une toute autre interprétation paléoclimatique aux observations de Darwin, notre jeune naturaliste était alors le tout premier scientifique terrain à s'appuyer sur une théorie fraîchement publiée par Charles Lyell : le principe d'actualisme en géologie. Nous savons avec certitude que Darwin lut les trois tomes des Principes de Géologie de Lyell durant son Voyage à bord du Beagle. Cette lecture allait profondément influencer son interprétation géologique du Monde. A une époque où le principe de catastrophisme régnait parmi les géologues, le duo Darwin – Lyell allait littéralement dynamiter les certitudes de leurs contemporains. De quoi rendre les observations de Darwin, dans le contexte de l'époque, particulièrement avant-gardistes.

A Cabo Tres Montes, éperon méridional de l'archipel, Darwin avait déjà noté que les couches superficielles de sable et de coquillages marins étaient sur-élevées de 6 mètres au-dessus du niveau des eaux. A Lowe's Harbour, sous des éboulis, il retrouve un ancien rivage sablonneux contenant des fragments de coquillages. Plus tard en rédigeant ses « Geological observations on South America », il s'appuiera également sur les observations de M. Coste (1838) lors de son exploration de l'île Lemus ; ce dernier notant une élévation de 2,5 mètres de la couche superficielle de coquillages. Après le tremblement de terre de 1839, un soulèvement violent est également signalé. M. Coste note que « des roches jadis toujours couvertes par la mer, restent aujourd'hui découvertes » (Comptes Rendus, oct. 1838, p. 706).

L'hypothèse d'un soulèvement de la croûte terrestre en Amérique du Sud avait déjà été évoqué pour de nombreux sites géologiques visités par Darwin, nous ne reviendrons pas sur ces détails dans ce billet. Néanmoins, remarquons que les observations de l'archipel de Chonos concordent avec celles de Chiloé. Dans ses « Geological observations on South America », Darwin rapporte également des plages de configuration surélevée en raison, selon lui, de leur situation en retrait derrière les talus dunaires naturels. Pour Darwin, s'il n'y avait pas eu élévation du niveau des côtes, alors ces talus et plages en retrait auraient été déjà érodés par la mer. Ce qui n'est pas, en terme d'écologie des milieux côtiers, un argument très robuste. Mais qui a le mérite de créer une continuité entre les diverses observations de Darwin. L'argument géologique le plus imparable pour Chiloé demeurait cependant la présence de dépôts de coquillages marins à l'intérieur des terres ; présence de coquilles de Venus costellata et de Mytilus chiloensis.

Abordons les autres formations tertiaires riches en fossiles que Darwin eut occasion d'étudier. L'archipel de Chonos comprend un nombre impressionnant d'îles et îlots rocheux, constitués pour la plupart de roches schisteuses métamorphiques – à l'exception selon Darwin des îles Lemus et Ypun qui sont formés de couches sédimentaires de grès à galets grossiers, de fragments de lignite et de concrétions de sables calcaires. Dans les formations sédmentaires de l'île d'Ypun, il trouve les fossiles suivants : Turritella suturalis, Sigaretus subgobosus, Cytheraea sulculosa, Voluta sp. Entre les archipels de Chonos et Chiloé, s'élève l'île de Huafo à 244 mètres d'altitude. Son cœur, probablement métamorphique selon Darwin, est recouvert de strates sédimentaires de grès et grès calcaires. Darwin y collecte aussi des coquillages fossiles : Bulla cosmophila, Pleurotoma subaequalis, Fusus eleryanus, Triton leucostomoides, Turritella chilensis, Venus sp., Cytheraea sulculosa, Dentalium majus.

L'archipel de Chonos est aujourd'hui connu des géologues pour s'inclure dans le complexe métamorphique d'accrétion de la région d'Aysén , au Chili . Le dépôt sédimentaire s'est produit au Trias ; ces roches ont ensuite été métamorphisées au Jurassique . La formation se subdivise en une ceinture occidentale fortement déformée ; et une ceinture orientale où les structures sédimentaires sont préservées. Des fossiles des espèces de bivalves du Trias tardif Monotis (Pacimonotis) aff. subcircularis et Lima sp. ont été découverts dans le complexe métamorphique de Chonos, mais Darwin n'en fit nullement l'observation durant son séjour. Néanmoins, le célèbre naturaliste s'est intéressé aux micaschistes de la péninsule de Tres Montes et ses roches feldspathiques altérées. Darwin prend soin de mesurer l'orientation des clivages de micaschistes. Les foliations s'orientent de manière assez similaire dans l'archipel selon un axe NW / SE. Le parallélisme entre les différents affleurements étudiés frappe son esprit.

Darwin remarque aussi à Tres Montes que les formations métamorphiques sont traversées de roches plutoniques, de dykes et de veines de quartz. Les origines de ces intrusions échappent à Darwin, mais il note cependant que la composition minéralogique des dykes varie selon les îles visitées. Enfin, notons que Darwin reçut durant ses investigations géologiques l'aide des officiers du HMS Beagle ; comme il le précise dans ses « Geological observations on South America », le Lieutenant Stokes collecta à son attention diverses roches schisteuses entre Cabo Tres Montes et le Détroit de Magellan ; ce qui lui permit de constater que les intrusions quartziques étaient aussi présentes au sud de l'archipel Chonos. Au final, Darwin présente un premier portrait géologique de l'archipel, mais demeure assez circonspect quant à l'origine des roches métamorphiques et leurs inclusions magmatiques. Il n'en demeure pas moins que l'activité volcanique, aussi bien constatée dans le paysage que par les dépôts insulaires de tufs, fait bien évidemment partie des suspects pour Darwin. Notons cependant qu'il ignore tout de la zone de subduction parcourue ! Imaginons, rien qu'un instant, quelle révolution extraordinaire Darwin aurait pu apporter à la science moderne s'il avait pu percer, près d'un siècle avant l'heure, le mystère de la dynamique des plaques lithosphériques ...


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