[1835] La baleine échouée

Le 6 janvier 1835, le mauvais temps se calme et le Capitaine FitzRoy peut poursuivre ses relevés cartographiques dans l'archipel de Chonos. Dans l'après-midi, alors que le navire met en panne, le Capitaine et quelques membres d'équipage partent explorer quelques havres dans son canot personnel. Darwin les accompagne. Ils découvrent le cadavre imposant d'une baleine, dans un état de décomposition partiel. Le spectacle n'est guère agréable à première vue, mais notre jeune naturaliste ne manque pas de décrire quelques espèces tirant profit du festin macabre.


Baleine échouée, gravure de 1880.

Un cadavre échoué de baleine est un véritable micro-écosystème à lui tout seul. Le corps en putréfaction du Cétacé représente le biotope foisonnant de matière organique. Tandis qu'une biocénose variée s'évertue à l'exploiter. Les carcasses de baleines arrivent rarement intactes sur les plages. Alors qu'elles dérivent à la surface de la mer, elles sont grignotées par les requins et les oiseaux marins charognards. Lorsqu'elles s'abîment au fond des océans, elles forment des écosystèmes abyssaux bien plus diversifiés ! Darwin note que les balanes et les crabes profitent du festin : « les balanes et les gros crabes parasites étaient en pleine activité ». Cette phrase laissera le lecteur averti quelque peu sceptique. Les balanes sont des Crustacés filtreurs, qui ne se nourrissent pas de la chair en décomposition. Il y a fort à parier que ces Cirripèdes sont même morts desséchés si le cadavre n'est plus recouvert par la marée depuis longtemps … Darwin s'intéressa longuement aux Cirripèdes, et nous y reviendrons dans un prochain billet. Cependant durant son séjour dans l'archipel Chonos, il n'observa ces Crustacés plus attentivement qu'à partir du 8 janvier, d'après ses Notes Zoologiques. Les balanes de cette baleine ne semblent pas avoir fait l'objet d'une plus grande considération de sa part. Darwin parle également de crabes parasites explorant le cadavre géant. Fait-il allusion aux poux de baleines, ou cyamides, ces petits Crustacés parasites stricts de la classe des Malacostracés (comme les Crabes) qui se nourrissent notamment de peaux mortes et envahissent les orifices des baleines vivantes ? Ou bien a-t-il observé de grands crabes charognards sur le cadavre ? Nulle précision ici, ni dans ses Notes Zoologiques.

Darwin songe également à l'origine lointaine des baleines actuelles. « La vue d'une Baleine me fait toujours penser aux grands animaux fossiles » écrit-il dans son Journal de Bord. Mais en l'état très fragmentaire des connaissances paléontologiques à cette époque, il est bien en peine de comprendre l'origine de ces Mammifères marins ! Tout au plus essaie-t-il maladroitement de corréler leur existence passée à cette des « grands reptiles de l'époque du Lias ». Darwin songe certainement aux fameux reptiles marins découverts par Mary Anning, qui découvrit quelques années auparavant sur les falaises de Lyme les fossiles d'ichtyosaures et de plésiosaures ! Il est tout aussi amusant de songer que Darwin n'en a pas fini de ses réflexions sur l'origine des baleines, problème sur lequel il devra se pencher quelques décennies plus tard lors des édition successives de « L'Origine des Espèces » !


Chasse à la Baleine boréale, gravure de 1875.


Mais si la région est vide d'Amérindiens (Darwin s'en étonne, cependant il ignore que les peuplades furent déportées massivement par les Espagnols quelques décennies auparavant), les navires baleiniers mouillent régulièrement dans ces eaux. A leur retour, le capitaine d'un baleinier français attend FitzRoy à bord du Beagle. Il a couru le brick-sloop dans l'espoir de le suivre jusqu'à un havre favorable. Il rapporte au capitaine quelques nouvelles sur l'activité baleinière dans les eaux de Patagonie et de Terre de Feu, lui apprend que les baleiniers français échoués aux Malouines et que le Beagle avait alors aidés ont repris la mer. Le gouvernement français n'est donc pas lassé d'armer des chasseurs de baleines, ironise Darwin. 

Le lendemain, 7 janvier 1835, le navire français continue à les suivre, mais il fut certainement fort déçu, car la mission première du Beagle est alors de récupérer M. Stokes et son canot, sa petite expédition ayant brillamment relevé les côtes entre les deux archipels de Chiloé et de Chonos. Cependant le temps se dégrade à nouveau et le Beagle s'abrite dans un havre, du 8 au 14 janvier 1835. Le baleinier français profite-t-il lui aussi de cet abri ? Nous l'ignorons. Mais dès la mi-janvier, le Beagle reprendra la mer, direction l'archipel de Chiloé !


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