[1835] Randonnée à cheval sur la côte Ouest de Chiloé (2/2)
Le 24 janvier, il leur fournit des chevaux frais pour poursuivre leur périple et leur offre de les accompagner. Près de Castro, ils admirent une cascade remarquable A Vilèpilli, Don Pedro intervint auprès du commandant local afin de leur procurer un guide pour Cucao. Le vieux commandant ne peut croire que les deux anglais voyagent ainsi dans le seul but d'admirer le paysage, et collecter des curiosités naturalistes ! Mais le Gouverneur le convainc de leur honnêteté, et voilà les deux aristocrates locaux, accompagnant à cheval nos deux jeunes anglais dans leur périple ! Mais pour Darwin, point de manières de gentlemen chez ces deux hommes, qui demeurent par bien des aspects aussi sauvages que leur pays.
« A Chonchi, nous avons traversé l'île et suivi des sentiers tortueux et compliqués, traversant parfois de magnifiques forêts et débouchant sur de jolis endroits dégagés, abondants en cultures de maïs et de pommes de terre ». Op. Cit. Cultures maraîchères et bocage, quelque chose dans le paysage lui rappelle l'Angleterre... La route pour Cucao devient ensuite si mauvaise, qu'ils décident de la contourner en traversant en pirogue le Lac Huillinco. Ils embarquent alors dans une periagua, grand canot allongé très répandu en Amérique du Sud. Le commandant ordonna à ses six Indiens de faire traverser ses passagers à la pagaie, sans qu'ils ne soient apparemment payés pour cette tâche. La periagua est une embarcation étrange pour Darwin; il s'agit d'un canot à l'origine inventé par les Espagnols aux Caraïbes, certainement sous l'influence des embarcations amérindiennes. Fortement utilisées pour les traversées inter-insulaires en Amérique du Sud, elles sont parfois équipées de voiles auriques. Dans les Caraïbes, elles furent également très utiles aux pirates lors de leurs rapines.
Une fois le lac traversé, les compagnons de voyage atteignent Cucao. A l'entrée de la petite ville, ils trouvent une masure inhabitée qui leur sert de gîte pour la nuit. Le district de Cucao est la seule partie habitée de toute la côte ouest de Chiloé. Pour autant, le recensement démographique est assez dérisoire : y vivent environ trente ou quarante Indiens, dispersés sur quatre ou cinq milles du rivage, et sans un seul résident espagnol. Ces habitants, très isolés du reste de Chiloé, n'ont pratiquement aucune sorte de commerce, à l'exception parfois d'un peu d'huile qu'ils obtiennent de la graisse de phoque. Les Amérindiens rencontrés se montrent assez mécontents à leur venue, et pour cause : « Nos compagnons, bien que très polis envers nous, se comportèrent envers les pauvres Indiens comme s'ils étaient des esclaves plutôt que des hommes libres ». Op. Cit. C'est en seigneurs autoritaires que leurs deux guides espagnols commandent des provisions et des chevaux, sans jamais daigner parler de paiement.
Le 25 janvier, les voyageurs restent seuls avec les Indiens, les séduisant en leur offrant des cigares et du maté : « un morceau de sucre blanc fut partagé entre tous les présents et goûté avec la plus grande curiosité ». — Les Indiens terminèrent toutes leurs plaintes en disant « et c'est seulement parce que nous sommes de pauvres Indiens et que nous ne savons rien, mais ce n'était pas le cas lorsque nous avions un Roi ». — référence à l'ancien Vice-Royauté du Pérou. Il n'en aurait pas fallu de beaucoup pour que l'Espagne entame alors une reconquête de Chiloé ! Le lendemain, après le petit déjeuner, les deux explorateurs se dirigent vers Punta Huantamò, un peu plus au nord ; la route longe une plage très large, sur laquelle, même après tant de beaux jours, une terrible vague déferle. Le rugissement des vagues par forte tempête peut être entendu la nuit même à Castro, à une distance d'au moins vingt et un milles marins à travers le pays ! La pointe est une colline rocheuse et hardie ; elle est couverte d'une plante apparentée, selon Darwin, aux bromélias, et que les habitants appellent Chepones. Les Indiens récoltent son fruit « en forme d'artichaut » et font fermenter sa pulpe pour en tirer une boisson alcoolisée. Darwin, qui tient les beuveries en horreur, remarque non sans cynisme que « partout l'homme trouve le moyen de faire une boisson enivrante ».
Sur place, Darwin et l'aspirant King poursuivent leurs entretiens avec les Amérindiens. Les repas partagés sont l'occasion d'échanges instructifs : « Je me suis renseigné sur l'histoire des Indiens de Chiloé. — Ils parlent tous la même langue, le Birliche ou Williche : elle est différente de celle des Araucaniens ; cependant leur façon de s'adresser à eux est à peu près la même ; le mot étant " Mari-Mari ", qui signifie " bonjour ". Ils reconnaissent parmi eux quelques divisions : je ne crois pas que les Ragunias ou Chahues viennent du Nord (comme le dit M. Douglass), et ne reconnaissent que le premier de ces noms. Ils déclarent que les Bybenies parlaient autrefois une langue tout à fait distincte ; le Commandant croit qu'ils sont venus du Sud. [...] On dit que ces Indiens de Cucao vivaient à l'origine à l'île de Huafo et qu'ils y avaient été amenés ici par les missionnaires. De même, trouvant la traversée vers les îles Chonos difficile et dangereuse, les missionnaires persuadèrent les Habitants de venir vivre à Caylen en leur offrant des présents. Cela concorde avec ce que les Chilotes disent à Lowes Harbor et cela explique parfaitement l'état d'abandon de cet archipel. J'ai déjà entendu dire auparavant que les quelques Bybenies restants vivaient principalement à Cailin. N'est-il pas probable qu'il s'agisse des premiers habitants de Chonos ? Je crois savoir que depuis l'époque de la Patria [Vice-Royauté], les Caciques ont été complètement éliminés » Charles Darwin, Op. Cit.
Le 26 janvier, voyage de retour avec de nouveau la traversée du lac Huillinco à bord d'une periagua. Puis reprise du trajet à cheval. Le soir, dîner avec le Commandant local, puis retour à Castro dans la nuit. Nos deux anglais peinent à se procurer une livre de sucre, et remplacer leur couteau est peine perdue. Et pour cause, ils tentent d'acheter leurs biens avec des devises ! Don Pedro leur explique que dans ce pays particulièrement pauvre, seul le troc s'applique. Le 27 janvier, ils quittent Castro tôt le matin. Au détours du chemin, sur une colline surplombant la forêt, ils admirent les volcans du Corcovado et du Lagartigas. « J'espère n'être pas près d'oublier cette dernière vision des superbes Cordillères de Chiloé ». Le 28 janvier, avant le lever du jour, ils arrivent enfin à San Carlos. C'est la fin de cette excursion de cinq jours à l'intérieur de la Grande Île de Chiloé !
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