[1835] Ornithologie à l'archipel Chonos
Durant la cartographie de l'archipel Chonos par le HMS Beagle, Darwin ne chôma pas. Il accumula les prélèvements géologiques et zoologiques, les notes de terrain et divers commentaires sur la formation de ces milieux patagons exceptionnels. L'ornithologie n'échappa pas à cet inventaire en règle, comme en témoignent ses Notes zoologiques de janvier 1835.
Les épaisses forêts des îles de l'archipel contiennent assez peu d'oiseaux. Les cris étranges de deux Rhinocryptidés, le Tourco huet-huet (Pteroptochos tarnii) et le Tourco rougegorge (Pteroptochos rubecula), résonnent entre les troncs humides. Le Tourco huet-huet de ces passereaux pousse un cri rappelant les jappements d'un petits chien. Très commun à Chiloé et Chonos, les natifs le surnomment le « Guid-Guid ». Encore aujourd'hui, c'est un oiseau très répandu. Cet oiseau forestier fut décrit pour la première fois par le Capitaine Phillip Parker King, commandant de la Première Expédition du HMS Beagle en Amérique du Sud. Nous le retrouvons également dans l'ornithologie du Voyage dans l'Amérique méridionale d'Alcide d'Orbigny (1847). Le Mérulaxe des Andes (Scytalopus magellicanus) hante également ces habitats forestiers. Il se remarque aussi à ses cris étranges aux notes lourdes. Que de boucan pour un Rhinocryptidé de la taille d'un Troglodyte mignon !
Pteroptochos tarnii. In : Voyage dans l'Amérique méridionale, d'Orbigny (1847) |
Le Pépoaza œil-de-feu (Pyrope pyrope) est une vieille connaissance pour Darwin, qui l'avait déjà observé en Terre de Feu. Ce Tyrannidé est un assez silencieux, mis à part quelques notes plaintives qu'il lance depuis la canopée. Il fréquente les forêts australes de Patagonie, mais visite volontiers les milieux ouverts, notamment les vergers et jardins. Son comportement s'est donc progressivement adapté aux changements anthropiques de son habitat d'origine. Insectivore, il chasse à la manière de nos Gobemouches européens. Cet oiseau commun n'est pas du tout menacé.
Darwin décrit également un petit Colibri, Trochilus forficatus, alors fort bien décrit dans les ouvrages ornithologiques de l'époque, mais dont la taxonomie actuelle est incertaine. En effet, les bases de données ornithologiques contemporaines donnent parfois comme homonyme l'Émeraude de Cozumel (Cynanthus forficatus). Mais il s'agit d'un endémique du Yucatán, au Mexique ! Gbif ne trouve pas d'autre occurrence que celle de Linné, qui baptisa ce Colibri en 1758. Le mystère reste complet ...
Autre mystère, le « black Furnarius », une très courte note signalant l'oiseau incroyablement commun dans l'archipel de Chonos. Précisé dans la Zoologie du voyage du H.M.S. Beagle sous le nom scientifique de Opetiorhynchus nigrofumosus. J'ai cru d'abord à une ancienne indentification du Cinclode du ressac (Cinclodes nigrofumosus), décrit par D'Orbigny et par Lafresnaye en 1838. Ce Furnariidé parcourt l'estran des côtes chiliennes centrales et septentrionales. Mais il me fallait assez d'éléments pour corroborer mon intuition. Gould, dans ses feuillets ornithologiques du Voyage du Beagle, me permet de confirmer mon hypothèse, mais de manière assez indirecte ! Reprenons les indices. Gould a travaillé à partir d'un spécimen naturalisé par Darwin sur la côte de Coquimbo. Opetiorhynchus nigrofumosus correspond à Opetiorhynchus lanceolatus (Gould, 1839), description qu'il agrémente d'une gravure colorisée. Cette fois-ci, plus de doutes, les plumages correspondent ! Quant à l'habitat, Gould présentait ainsi Opetiorynchus : « Je vais maintenant faire quelques remarques sur les habitudes de ces trois espèces côtières. La première, l'O. antarcticus, est confinée, comme j'ai toutes les raisons de le croire, aux îles Falkland. La seconde [O. rupestris] habite la Terre de Feu, et à Chiloé et au Chili central, il est remplacé par la variété locale à long bec, et plus au nord encore par l'O. Nigrofumosus ». Nous sommes bien en présence du Cinclode du ressac (Cinclodes nigrofumosus), donc anciennement baptisé Opetiorhynchus nigrofumosus. Mystère résolu !
Cinclode du ressac (Cinclodes nigrofumosus). In : Zoologie du voyage du H.M.S. Beagle, t. 3. |
Le Caracara à crête (Caracara plancus) anciennement baptisé Polyborus brasiliensis est un rapace de la famille des Falconidés plutôt commun en Amérique du Sud, dont la présence avec le Caracara chimango (Milvago chimango, anciennement Milvago pezoporus) ne surprend guère Darwin. Ce sont des rapaces opportunistes, très souvent charognards, qui profitent des carcasses échouées sur les côtes patagons. Il est probable que ces deux oiseaux survolaient avec avidité la fameuse carcasse de baleine échouée, que Darwin décrivit durant son séjour à Chonos. Et puisque nous parlons de charognards, Darwin ne manqua pas d'observer la sinistre (mais superbe!) silhouette de l'Urubu à tête rouge (Cathartes aura) ! Ce nécrophage quasi-exclusif qui a mauvaise réputation auprès des Gauchos, puisque comme pour notre Vautour fauve, il est souvent accusé de s'attaquer au bétail et de véhiculer des maladies parmi les cheptels. Deux accusations exagérées, comme pour la polémique actuelle du Vautour fauve en France, mais qui encouragent des destructions d'individus, et font donc peser un poids sur ses chances de conservation.
Un urubu à tête rouge en vol à Cuba. Photo : Charles J. Sharp (Wikipedia) |
Commentaires
Enregistrer un commentaire