[1835] Les Poissons des Galápagos

En évoquant le Voyage de Darwin, nous viennent rapidement à l'esprit les Oiseaux et les Reptiles des Galápagos. Ces raccourcis, largement diffusés par la culture populaire, s'appuient sur l'importance de ces taxons dans la construction de la théorie de la transmutation des espèces dès 1837. Cependant, il ne faudrait pas oublier que Darwin constitua d'autres collections de spécimens au cours de son Voyage. Et lors de son séjour dans l'archipel des Galápagos, notre jeune naturaliste préleva pas moins de quinze spécimens de poissons, dont il confia l'identification à Leonard Jenyns (1842).

Retracer l'ensemble des collections de Poissons du Voyage et les classer à la lumière de la phylogénie actuelle serait une gageure ! Le travail, incommensurable, reviendrait à se perdre dans les méandres de près de deux siècles d'histoire de la classification. Le terme lui-même de « poissons » nous occuperait bien un moment, puisqu'il s'agit aujourd'hui d'un groupe paraphylétique dont l'arbre a connu moult remaniements. Nous ne prétendrons pas mener un tel travail dans cet article, ni même explorer en détails les quinze spécimens rapportés par Darwin. Mais plutôt la présentation de quelques-uns, afin de rendre hommage à l'ichtyologie du Voyage, domaine si peu souvent mis en avant par les vulgarisateurs.


Sphoroides angusticeps (crédits : Wikipedia)


Commençons par Sphoroides angusticeps, ou Poisson-ballon concave, est quant à lui un Tétraodontidé endémique des Galapagos. Jenyns l'identifia sous le nom scientifique de Tetrodon angusticeps. Ne chipotons ni sur les remaniements de classification, ni sur l'orthographe, d'usage scientifique Tétrodon s'écrivant plutôt Tétraodon. Ces poissons sont célèbres pour leur capacité à se gonfler tels des ballons en cas de danger. L'équipage du Beagle en avait déjà capturé un cousin éloigné, lors de l'escale à Bahia en 1832. J'ignore si comme la fois passée, les matelots jouèrent au water-polo avec le malheureux animal. La majorité des Tétraodontidés sont toxiques, produisant la fameuse tétrodotoxine. Cependant, j'ignore également si cette espèce présente aussi cette particularité.

Prionotus miles, le Rouget (ou Robin) des Galápagos. Il s'agit d'une belle prise pour Darwin, puisque l'espèce ne fut que peu capturée depuis lors. Le genre Prionotus sp. est tellement peu connu des ichtyologues que deux siècles plus tard, leur description fait encore débat ! Récemment, en juin 2025, une nouvelle espèce Prionotus pictus était identifiée le long des côtes des Galápagos. Plus cocasse encore, quasiment personne n'avait jusqu'ici remarqué la confusion, puisque des clichés de plongée de Prionotus pictus abondaient pour illustrer le Prionotus miles de Darwin ! « Il est remarquable qu'une nouvelle espèce de poisson endémique, grande, remarquable et relativement commune, soit restée si longtemps méconnue », commente Benjamin Victor dans son étude.


Bodianus darwini, illustration issue de la « Zoologie du voyage du H.M.S. Beagle » (1842)


Bodianus darwini, ou le Napoléon des Galápagos, est un grand labre du Pacifique Est tropical. Jenyns n'identifiait initialement sous le nom scientifique de Cossyphus darwini. Il fut même un temps classé dans le genre Semicossyphus sp., avant d'adopter sa taxonomie actuelle. Ce n'est pas une espèce endémique, mais l'archipel fait office de bastion principal dans son aire de répartition. Ce prédateur benthique aux dents acérées se nourrit d'invertébrés marins; leurs coquilles et carapaces n'étant qu'un détail culinaire pour lui. Hélas, l'espèce est sur-pêchée dans son aire de répartition. Le phénomène El Niño de 1997 - 1998 a de surcroît réduit de 80 % ses populations, rendant critique la conservation de cette espèce.

Enfin, tout nom d'espèce finissant par ''darwini'' ne fut pas forcément collectée pour la première fois par Darwin. Et la faune des Galápagos n'échappe pas à cette exception. Le Poisson chauve-souris Ogcocephalus darwini, découvert en 1958, fut initialement considéré comme un endémique de l'archipel. Ce qui motiva l'hommage dans son nom scientifique. Pour autant, il ne fut jamais pêché par Darwin, de même qu'il n'est pas endémique aux seuls Galápagos. Méfions-nous des faux amis darwiniens !

Nous pourrions continuer plus longuement ce billet ; mais la présentation complète des quinze espèces différentes pêchées durant l'escale des Galápagos n'aurait d'intérêt que pour les spécialistes. De cette rapide plongée à leurs côtés, retenons que tous ne sont pas endémiques aux Galápagos. Certains, comme le Corégone de mer (Caulolatilus princeps) sont même des prises fort populaires des pêcheurs amateurs du continent ! Bon nombre de ces espèces furent cependant prélevées pour la première fois par Darwin, lors de son escale dans l'archipel. L'étude de ce « point chaud » de biodiversité ne pouvait qu'amener à faciliter leur découverte. La classification des Poissons a énormément été remaniée au cours de ces deux siècles. La taxonomie de Jenyns est bien entendu dépassée, mais la lecture des fascicules ichtyologiques du Voyage permettent au lecteur averti d'apprécier les progrès de la taxonomie. Enfin, si les Poissons des Galápagos ne jouèrent pas le même rôle que les Pinsons de l'archipel, ils témoignent à leur manière de l'écologie côtière de ces îles en cette première moitié du XIXème siècle. Et l'on ne peut que déplorer, pour certains d'entre-eux, leur recul face à la surexploitation des océans.


Liste des spécimens de Poissons collectés par Darwin dans les Galapagos, rédigée par Leonard Jenyns (Zoologie du voyage du H.M.S. Beagle, 1842)


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