[1834] Darwin songe à abandonner

En octobre 1834, de retour chez M. Corfield à Valparaiso après une excursion dans la Cordillère des Andes, Darwin se sent très affaibli et doit tenir le lit. Cette épreuve le mène jusque d'atroces tourments, et il s'en confie douloureusement à sa sœur Caroline. Pour notre jeune homme, l'origine de ces maux ne fait alors pas de doutes : « de retour de mon excursion à la campagne, j'ai séjourné quelques jours dans des mines d'or et, là-bas, j'ai bu du chichi [chicha de uva], un vin nouveau, très faible et acide, qui m'a presque empoisonné » Correspondance de Charles Darwin à Caroline Darwin, 13 octobre 1834. Certains auteurs attribuent cette crise subite à la maladie de Crohn, qu'il aurait alors contracté par toxi-infection alimentaire. S'il se veut rassurant sur l'amélioration de son état « mais Bynoe [Assistant-chirurgien du HMS Beagle], avec une bonne dose de calomel et du repos, m'a presque remis sur pied et je ne suis plus qu'un peu faible », il ne cache pas son découragement et le mal du pays qui le ronge.

Aussitôt remis et alors qu'il s'apprête à rembarquer à bord du HMS Beagle, Darwin écrit une nouvelle lettre à sa sœur Catherine qui se veut la plus rassurante possible. « Ma dernière lettre était plutôt sombre, car je n'étais pas en grande forme lorsque je l'ai écrite. À présent, tout va pour le mieux » Correspondance de Charles Darwin à Catherine Darwin, 8 novembre 1834. Éludant rapidement ces dernières semaines pourtant désastreuses, il s'attarde sur une des dernières crises de nerf du Capitaine FitzRoy et planifie un prochain itinéraire terrestre dans les Andes. Mais le ton sonne faux, et le jeune homme n'a de cesse de se réjouir du proche retour du Beagle en Angleterre.

Mais ses deux sœurs ne sont pas dupes, et dans une lettre rédigée fin janvier, elles exhortent leur cher frère ''Charley'' à abandonner l'expédition. « Papa m'a chargé de vous transmettre un message de sa part ; il souhaite vous inciter à envisager de quitter le Beagle et de rentrer à la maison, et à prendre garde à cette grave maladie. Papa dit que si votre santé commence à décliner, vous ressentirez d'autant plus les effets d'un climat malsain, et il est très inquiet pour vous, craignant beaucoup les fièvres que vous risquez d'attraper dans ces pays. Papa est très sérieux et me prie de vous rappeler que cela fera bientôt quatre ans que vous nous avez quittés, ce qui représente assurément une longue période de votre vie à consacrer à l'Histoire Naturelle » Correspondance de Caroline et Catherine Darwin à Charles Darwin, 28 janier 1835. Les deux sœurs et leur père, le Dr. Robert Darwin, tentent de convaincre le jeune Charles qu'à ce stade de l'expédition, et vu sa crise d'octobre, personne ne lui reprochera d'abandonner l'expédition. L'honneur est sauf, son travail également. Ces suppliques sont bien entendues le souhait tout de s'assurer le retour vivant de leur cher ''Charley''.

Mais le jeune homme ne songe déjà plus à abandonner. Dans sa lettre du 10-13 mars 1835 adressée à sa sœur Caroline, il ne parle que de ses futures escales et de son enthousiasme, malgré l'inconfort du voyage : « par ailleurs, je souffre tellement du mal de mer que rien, pas même la géologie, ne saurait apaiser ma souffrance et mon désarroi » Correspondance de Charles Darwin à Caroline Darwin, 10-13 mars 1835. Si Darwin se languit longuement de sa famille, il semble que le ton soit plus de circonstance qu'une réelle lassitude à ce stade du voyage. Le programme des escales à venir l'enthousiasme peut-être autant qu'il ne les redoute. Après tout, le HMS Beagle s'apprête à entamer une circumnavigation, itinéraire encore fort périlleux au XIXème siècle ! Peut-être cherche-t-il à rassurer ses proches, en adoptant un ton faussement plaintif de ''passager malgré lui'' ? Après les nouvelles fort inquiétantes qu'il posta en octobre dernier, il est fort possible que Darwin eut à cœur de jouer cette carte.

Toujours est-il que Darwin traversa entre octobre 1834 et mars 1835 une période moralement sombre ; abandonner l'expédition fit incontestablement l'objet de réflexions sérieuses. Heureusement, notre jeune naturaliste va retrouver le ''feu sacré'' pour cette grande aventure naturaliste. « Depuis un an, je souhaite rentrer et je ne me suis pas privé de le faire savoir discrètement ; mais à présent, je suis tenté de grogner sourdement du matin au soir. — Je compte et recompte chaque étape du voyage de retour, et une heure perdue me paraît plus importante qu'une semaine auparavant » Correspondance de Charles Darwin à Caroline Darwin, 27 décembre 1835. L'achèvement de ses relevés géologiques en Amérique du Sud et les escales des Galápagos & de Tahiti y sont certainement pour beaucoup. C'est donc avec un élan renouvelé que Darwin acheva les dernières étapes du Voyage du Beagle.

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