[1835] L'arrivée à Tahiti
Le 15 novembre 1835, le HMS Beagle est en vue de Tahiti ! La navigation du brick-sloop est impeccable, puisqu'il a passé sans encombres l'archipel Dangereux (Tuamotu). Une petite victoire pour le Capitaine FitzRoy ! Tahiti, destination paradisiaque pour notre imaginaire collectif, l'est beaucoup moins pour Darwin. Il juge l'aspect de l'île peu engageant, et le sinistre destin du Capitaine Cook devait forcément résonner dans son esprit dès lors que des pirogues entourèrent le Beagle au mouillage dans la baie de Matavai.
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| Tahiti, gravure de Conrad Martins. In : Narratives, FitzRoy (1839). |
Lors du séjour du HMS Beagle à Tahiti, l'île était sous influence britannique. La Reine autochtone Pomare IV dirigeait l'île depuis 1827, mais son principal conseiller, le pasteur anglais Pritchard, Consul d'Angleterre, poursuivait l'influence britannique et l'évangélisation protestante de la population. La monarchie constitutionnelle mise en place par les missionnaires anglais copiait fortement le modèle britannique. Mais la dissension fait rage parmi les chefs locaux, et le pouvoir des Pomare s'éclipse face à leurs contestations. La jeune Reine demande alors le protectorat de l'Angleterre, en vain. Une autre puissance se tient alors en embuscade : la France catholique ! Des prêtres catholiques dépêchés sur place travaillent déjà à la conversion des autochtones. En réponse, le pasteur Pritchard fait expulser en 1836 deux prêtres, pensant ralentir ainsi les revendications françaises. Bien mal lui en prit, puisqu'en réaction, la France dépêche en 1838 une expédition commandée par l’amiral Abel Aubert Du Petit-Thouars. Sa mission est un franc succès, puisque soutenu par les chefs locaux dissidents, il arrache Tahiti aux mains des Anglais ! L'île devient un protectorat français (1842). La même année, l'amiral annexe les îles Marquises.
Nous sommes donc à la veille de ces événements cruciaux, qui expliquent que les craintes de Darwin s'envolent rapidement alors qu'une foule en liesse accompagnée du missionnaire local, M. Wilson, les accueille chaleureusement. Le HMS Beagle ayant franchi la ligne symbolique du changement de date, le journal de bord du navire indique le dimanche 15 novembre 1835, alors que le calendrier de l'île marque un lundi ! Après débarquement et quelques instants de repos chez M. Wilson, Darwin et les officiers débarqués à terre en profitent pour se promener avant l'heure du thé. Décidément, curieux décalage que d'imaginer Tahiti à l'heure anglaise ! Darwin compare les champs et vergers à l'agronomie brésilienne, et semble apprécier le paysage champêtre tropical : « même si en général l'utilité n'explique pas grand-chose du plaisir que procure la contemplation d'un beau paysage, dans des cas comme celui-ci, elle ne peut manquer d'entrer pour une large part dans les sentiments éprouvés » Charles Darwin, Journal de Bord.
Darwin est définitivement rassuré quant à ses craintes stéréotypées : « rien ne m'a autant rempli de contentement que les habitants. Il y a dans l'expression de leur visage une douceur qui chasse immédiatement l'idée que l'on se fait du sauvage ». Nous n'entrerons pas à nouveau sur les réflexions ethnologiques du jeune naturaliste, alors teintées de racisme civilisationnel, mais rappelons cependant que sous ce vernis peu engageant, Darwin écrivit des décennies plus tard dans la ''Filiation de l'Homme'' des paragraphes entiers plaidant pour l'universalisme de l'Humanité. Darwin n'a de cesse de vanter la beauté des Tahitiens : « la plupart des hommes sont tatoués ; les ornements suivent si gracieusement les courbes du corps que l'effet produit est vraiment très élégant et plaisant ». Les femmes tahitiennes, objet de fantasme occidental, ne cependant pas à son goût ! Il juge leur prestance « en tout point très inférieure aux hommes » !Il va jusqu'à considérer que l'intrus, ici même, est l'homme blanc ! Difficile d'interpréter autrement que par un regard poète ces tirades romanesques ; qui ne sont ni anti-coloniales, ni homosexuelles.
Ce premier contact de Darwin avec Tahiti et le peuple tahitien est globalement un succès. Le jeune naturaliste, d'abord dubitatif, surmonte ses craintes du « lointain sauvage hostile », stéréotype classique de l'époque, pour découvrir une nature engageante et des autochtones fascinants de richesse comme de bonté. Nous verrons dans les prochains jours si cette première opinion perdurera !

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