[1835] L'affaire du voilier pillé

En 1833, un petit voilier britannique fut pillé par les autochtones des Îles Basses de Polynésie, alors sous l'autorité de la Reine tahitienne Pomare. L'affaire remonta jusqu'au gouvernement britannique ; considérant que les natifs avaient agi selon une loi tahitienne, la monarchie en place était responsable de ce pillage licite et devait en dédommager la couronne britannique. La somme convenue de 2853 dollars devait être payée le 1er septembre 1835. Cependant, les escales polynésiennes ne sont pas monnaie courante, et le Commodore de Lima profita de la présence du HMS Beagle dans les eaux Pacifiques pour ordonner au Capitaine FitzRoy de se renseigner sur le règlement de cette dette.

Ce n'est pas la première fois que le HMS Beagle interfère dans la politique insulaire locale, nous l'avions déjà vu durant l'escale aux Malouines. L'épisode tahitien prend de l'importance lorsque sur place, FitzRoy apprit que la somme n'avait pas été versée. Darwin, qui assiste aux rencontres diplomatiques, résume succinctement l'épisode dans son Journal de Bord, nous renvoyant déjà au futur compte-rendu du Capitaine. Il ne se prononçait nullement trop vite, puisque dans ses Narratives, FitzRoy relata en détails l'épisode. Ce retard de paiement n'est, d'après lui, pas très clair. Un émissaire de la Couronne britannique en la personne de Mr. Bicknell s'était déjà présenté devant la Reine pour recevoir ce dédommagement, mais il n'avait reçu aucune réponse des autorités. La Reine plaide sa bonne foi, mais prétend ne pas avoir compris à quel représentant légal cette somme devait être versée.

Afin de régler cette affaire par voie diplomatique, le Capitaine FitzRoy sollicita une entrevue avec le Parlement tahitien et la Reine en personne. Le missionnaire anglais Pritchard se fit l'intermédiaire de ces rencontres. Loin de contester les faits, la Reine Pomare souhaite apporter une réponse diplomatique et politique à l'affaire. En effet, les lois tribales sur le pillage placent les Tahitiens dans leur bon droit. Cependant, l'assemblée des chefs ne souhaite pas opposer le droit tribal au droit maritime anglais – preuve de l'emprise britannique sur ces îles polynésiennes. Aussi le parlement tahitien décide-t-il de changer la Loi tout en dédommageant les Britanniques.

Darwin assiste à la réunion du Parlement du 22 novembre 1835. L'affaire avance rapidement, « je ne saurais exprimer avec assez de force notre surprise à tous devant l'extrême bon sens, les capacités de raisonnement, la modération, la franchise et la rapidité de décision qui se manifeste de toutes parts » Charles Darwin, Journal de Bord. Au terme de cette session du Parlement, les sages proposent d'ajouter au remboursement des dédommagements financiers supplémentaires. Ce que le Capitaine FitzRoy refuse. L'affaire est donc close, la somme fixée sera versée et les Lois tribales se caleront désormais sur celles de l'occupant britannique. Tout est bien qui finit bien ? Pour cette affaire, certainement. Mais cet épisode ne fait qu'illustrer le déclin inexorable des gouvernances autochtones dans les colonies européennes.



Image d'illustration : Arrivée de Bougainville à Tahiti, peinture.


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