[1834] Arrivée dans le détroit de Magellan

Le 22 janvier 1834, il est temps pour l'Adventure et le Beagle de se séparer. Le premier vogue en direction des Malouines occidentales, tandis que le brick-sloop du capitaine FitzRoy fait voile vers le détroit de Magelllan. Après avoir mouillé sous le Cap Watchman, il est temps de prendre le large ! Et sous bon vent, le Beagle dépasse au 26 janvier les falaises blanches du Cabo de Virgenes. Comme le note Darwin dans son Journal de Bord, le navire a donc pénétré ce célèbre détroit !


Arrivée du HMS Beagle dans le détroit de Magellan (janvier 1834)


S'engageant dans ce bras de mer entre la Patagonie et la Terre de Feu, le Beagle jette l'ancre le 29 janvier 1834 à Bahia San Gregorio. Les conditions météorologiques se sont dégradées, l'équipage affronte de violents coups de vent soufflant de l'ouest. Le marnage dans cette portion du détroit est alors impressionnant : entre 12 et 15 mètres de différente selon la marée ! Sachant que l'eau avance à une vitesse de 9 à 11 km/h, soit presque aussi rapidement que le brick-sloop lancé à bonne allure. Comment ne pas être saisi d'effroi face à ces périls ? Si le capitaine FitzRoy est un marin accompli ayant déjà navigué dans ces eaux, Darwin ne peut s'empêcher de songer aux difficultés que rencontrèrent les premiers navigateurs lancés ainsi vers l'inconnu.

Sur le rivage, un groupe d'Amérindiens leur fait signe. Darwin se rend à terre avec le capitaine FitzRoy. Les Patagoniens les accueillent avec beaucoup de politesse, parlant assez bien l'espagnol et un peu l'anglais. Ils semblent visiblement familiers des contacts avec les Occidentaux, et malgré leur apparence repoussante aux yeux de Darwin, ils font preuve de rudiments de bonne éducation. Ainsi, le capitaine accepte que trois d'entre eux montent à bord du Beagle. Ils prennent le thé avec les officiers, démontrant qu'ils savent parfaitement se servir de couteaux, cuillères et fourchettes. Quel décalage entre les habits des officiers de la Royal Navy et les corps de ces Amérindiens entièrement peints de motifs rouges, blancs et noirs !

Darwin ne peut s'empêcher de comparer ces Patagoniens aux Amérindiens combattus par Rosas et aux proches Fuegiens de la Terre de Feu. Il y voit une sorte de gradation civilisationnelle, entre le maillon le plus bas de la chaîne selon lui (voir les précédents billets sur Darwin et les Fuégiens) et les Tehuelches de la Pampa argentine. Darwin baptise affectueusement ces Amérindiens de Bahia San Gregorio « nos amis à demi civilisés ». Il semblerait que ces Patagoniens accueillis à bord du Beagle pour l'heure du thé soient des Aónik'enk ou Aonikenk. Ils domptent de petits chevaux que Darwin juge mal adaptés comme montures pour ces hommes massifs, et pratiquent le troc de leurs articles de chasse avec les Occidentaux. Il ne faut pas les confondre avec les Selknam, aussi appelés Selk'nam, Shelknam ou Onas, les habitants de la grande île de la Terre de Feu et qui organisaient parfois des raids sanglants contre les Fuégiens Yagans (ou Yámanas) peuplant les îles au sud du Canal Beagle.

Darwin note d'ailleurs que les Selk'nams (qu'il désigne à tort comme des Fuégiens) ont aussi allumé de grands feux sur le rivage sud du détroit. Ce qui n'est pas pour rassurer l'équipage, car cette peuplade belliqueuse s'est attirée une mauvaise réputation ! Inutile de préciser que le Beagle, bien qu'armé de fusils, mousquets et canons, n'en reste pas moins menacé par toute attaque massive d'indiens hostiles. Mais rien de tel ne se produit. Le 31 janvier 1834, après avoir louvoyé la veille en direction de l'île Elizabeth, le Beagle jette l'ancre à Bahia Shoal, et double ensuite le Cabo Negro. Puis, retraversant le bras de mer, mouille à Bahia Laredo (Lando Bay dans les éditions anglophones et francophones du Journal de Bord, mauvaise transcription chez Barlow, Keynes, etc.). Le capitaine FitzRoy se souvenait d'avoir découvert un lac d'eau douce à quelques milles dans les terres ; une expédition pose pied à terre, mais la distance importante rend le ravitaillement en eau trop compliqué. Aucune source ni point d'eau ne fait l'affaire en cette triste journée du 1er février 1834. Le capitaine décide alors de poursuivre jusqu'à Port-Famine. Un lieu de bien triste mémoire, comme nous le verrons dès l'arrivée du Beagle, le 2 février prochain.

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