[1833] Préserver une civilisation ou évangéliser des sauvages ? La question fuégienne lors du voyage du Beagle

Les 16 janvier 1833, le capitaine FitzRoy va enfin tenir sa promesse de ramener en Terre de Feu les captifs fuégiens embarqués de force lors de la première expédition du HMS Beagle. Mais cet acte charitable, qui justifia en grande partie ses premières tentatives pour affréter à nouveau le brick-sloop, n'en reste pas moins tout aussi intéressé. Puisque derrière le retour des trois jeunes gens jusqu'à leur terre natale se cache un plus ambitieux projet d'évangélisation des tribus fuégiennes.


Le HMS Beagle salué par des Fuégiens durant le voyage en Terre de Feu, peinture de Conrad Martens.


Le HMS Beagle n'est pas parvenu à franchir le passage de Drake. Les terribles tempêtes du Cap Horn ont eu raison des ambitions de son capitaine. Fort heureusement, ce dernier connaît parfaitement son navire et la tentative ne s'est pas soldée par un naufrage. Ce ne fut pas le cas de tous les navires qui tentèrent la traversée aux mêmes dates. Mais les côtes autour du mouillage du Beagle à l'île Navarino ne se prêtent guère à l'établissement d'une petite mission, aussi modeste soit-elle. Or le capitaine FitzRoy projette bien d'y établir le missionnaire Matthews, courageux volontaire embarqué à bord du Beagle depuis le départ de Plymouth, le 27 décembre 1831. Or le rivage de l'île autour du passage Goree est marécageux, ce qui l'empêchera de cultiver la terre pour subvenir à ses besoins.

Les 17 et 18 janvier 1833, il est donc convenu de plutôt prospecter la rive Ouest de l'île Navarino. Le HMS Beagle se rapproche du détroit de Ponsonby (seno Ponsonby sur la carte ci-dessous), un site bien plus prometteur sur lequel le Capitaine FitzRoy est bien décidé à y établir sa petite mission religieuse. Personnage très croyant, l'aboutissement de ce projet lui tient beaucoup à cœur. En effet après la brutale prise de quatre otages fuégiens au cours du premier voyage du HMS Beagle suivie de leur extradition en Angleterre, le capitaine s'est reproché la mort du jeune Boat Memory, victime de la variole. FitzRoy finança en partie la seconde expédition du HMS Beagle grâce aux souscriptions de différentes organisations religieuses, dont la Church Mission Society. Cette dernière chargea le jeune missionnaire Richard Matthews de la difficile mission de christianiser les Fuégiens. Notre jeune homme, qui n'a que 22 ans lorsqu'il débarque en Terre de Feu, fait alors un terrible sacrifice en acceptant de vivre reclus pour une période indéfinie sur ces terres sauvages.

Initialement, deux missionnaires devaient embarquer à bord du HMS Beagle, mais aucun autre compagnon n'accepta de rejoindre Richard Matthews sur sa lointaine terre d'exil ! La Church Mission Society pourvut cependant à l'achat de tout le matériel et provisions nécessaires à son installation. FitzRoy et ses amis religieux comptent également sur l'éducation anglaise qu'avaient reçus les trois jeunes Fuégiens pour qu'ils demeurent auprès de Matthews et l'assistent dans sa mission. Jemmy Button semblait le plus enclin à ce sujet, ayant fortement adopté les mœurs anglais et acquis une ferveur religieuse des plus prometteuses.

Les 17-18 janvier 1833, l'équipage du HMS Beagle prépare donc quatre de ses annexes (trois baleinières et le yawl) pour une expédition plus poussée dans le Canal Beagle. l'objectif est d'établir Richard Matthews sur ces terres inhospitalières. Le capitaine FizRoy a décidé d'établir tout le petit groupe, Fuégiens et missionnaire compris, dans le pays de Jemmy Buttons à Ponsonby Sound. Cette anse se situe à l'ouest de l'île Navarino. Mais pour atteindre cet objectif, le plus prudent demeure de poursuivre le contournement de l'île par le Nord-Ouest.

Le 19 janvier 1833, « Le yawl, étant lourdement chargé, fut remorqué par les trois autres bateaux, et, tandis que ses voiles étaient déployées, alla presque aussi vite qu'eux » Robert FitzRoy, Narratives. Charles Darwin, qui est du voyage, confie à son Journal de Bord des commentaires assez sceptiques quant aux chances de réussite de l'opération. Non pas qu'il soit devenu un apostat ; notre jeune diplômé en théologie est alors fort croyant à cette étape de sa vie. Mais parce que le matériel acheté par la Church Mission Society permettrait de pouvoir à de jeunes mariés issus de la bonne société plutôt que d'équiper un missionnaire en Terre de Feu ! Pensez donc, les caisses débarquées contiennent des verres à vin, beurriers, plateaux à thé, soupières, nécessaire de toilette en acajou, linge blanc fin, « qui révélaient combien peu l'on s'était inquiété du pays auquel ils étaient destinés » Charles Darwin, Journal de Bord.

Toujours est-il que les trois embarcations continuent leur route, embarquant matériel et vivres à leur bord. « Mais après avoir passé le cap Rees et modifié notre route vers l'ouest, nous avons été obligés de l'entraîner à force de bras contre le vent et le courant » Robert FitzRoy, Narratives. La flottille s'engage dans le Canal Beagle, en direction de l'Ouest. Cette passe naturelle fut découverte lors de la première expédition du HMS Beagle. « Ce passage singulier en forme de canal est presque droit et d'une largeur presque uniforme sur 120 milles » Robert FitzRoy, op. cit.

Le 20 janvier 1833, le passage le plus étroit du canal est franchi. Il s'agit d'un bras de mer entre l'île Navarino (S) et l'île Gable (N). Des falaises d'argiles réduisent la passe à 1,5 km de largeur uniquement. Gardez à l'esprit que Puerto Williams n'a pas encore été fondée : les lieux sont déserts, si ce n'est la présence ponctuelle de Fuégiens ! « Le canal de Beagle a été découvert pour la première fois par Cap FitzRoy au cours du dernier voyage, de sorte qu'il est probable que la plupart des Fuégiens n'avaient jamais vu d'Européens » Charles Darwin, Journal de Bord.

Une fois franchi ce passage large de moins d'un mile nautique, « plusieurs indigènes ont été vus ; mais comme Jemmy nous a dit qu'ils n'étaient pas ses amis, et qu'ils faisaient souvent la guerre à son peuple, nous avons eu très peu de relations avec eux » Robert FitzRoy, Narratives. Il est terrible de noter au combien les trois passagers fuégiens de l'expédition, retenus captifs en Angleterre depuis trois années maintenant, sont littéralement imprégnés de morale occidentale et chrétienne. Une déconstruction culturelle violente qui se lit à leurs attitudes face aux Fuégiens : « York a ri de bon cœur au premier que nous avons vu, les appelant de grands singes; et Jemmy nous assura qu'ils n'étaient pas du tout comme les siens, qui étaient très bons et très propres. Fuegia était choquée et honteuse; elle se cachait et ne voulait pas les regarder [...] Nous donnâmes à ces « Yapoos », comme York les appelait, quelques cadeaux, et traversâmes du côté nord du chenal pour être libérés de leurs importunités »Robert FitzRoy, op. cit.


Groupe de Fuégiens Yámanas. Photographie prise en 1883.


Darwin n'est pas plus généreux dans ses jugements, comme à son habitude lorsqu'il s'agit des Fuégiens. Alors que les embarcations poursuivent leur route, les Yapoos les suivent le long du rivage. FitzRoy s'en inquiète quelque peu. « Beaucoup d'hommes ont couru pendant quelques milles le long du rivage. - Je n'oublierai jamais à quel point un groupe était sauvage et sauvage. — Quatre ou cinq hommes sont soudainement apparus sur une falaise près de nous » ; « Ils étaient absolument nus & avec de longs cheveux ruisselants ; jaillissant du sol et agitant leurs bras autour de leur tête, ils poussèrent des cris des plus hideux. Leur apparence était si étrange qu'elle ressemblait à peine à celle des habitants de la terre » Charles Darwin, Journal de Bord.

Le capitaine tente de trouver une crique inhabitée pour y passer la nuit. Les indigènes n'ont de cesse de réclamer des objets, ce qui ne manque pas d'attirer le mépris de Darwin. « Le premier et le dernier mot qu'ils prononcent est "Yammerschooner" qui signifie "donnez-moi" [...] » Charles Darwin, op. cit. Mais malgré l'attitude parfois menaçante des Fuégiens armés de leurs frondes, l'équipage passe une nuit de bivouac au calme. Peut-être que ce troc demandé avec insistance était une manière d'acheter, pour les Fuégiens, leur "taxe" de séjour sur ces terres ? Le 21 janvier au matin cependant, la tension monte et l'équipage échappe de peu au massacre. Une bande d'hommes armés de frondes et de silex a rejoint les observateurs nocturnes. Ils semblent prêts à massacrer les marins, mais les femmes et les enfants les en dissuadent à temps.

Il est terrible de constater que la seule remarque qui vienne à l'esprit de Darwin, sauvé de justesse d'une mort probable, est : « J'avais bien peur que nous ayons eu une escarmouche ; il aurait été choquant de tirer sur des créatures aussi nues et misérables » Charles Darwin, op. cit. Les descriptions de Darwin n'ont d'ailleurs de cesse de témoigner d'un vif mépris envers les Fuégiens. Considérés comme voleurs et cannibales sous sa plume, il ne manque pas une occasion de rappeler que leur petite expédition risque à tout moment d'être détroussée par ces "sauvages" ! Le 22 janvier 1833, la flottille composée de trois baleinières et de la yawl atteint à la nuit tombée la baie Wulaia, à la jonction du canal Murray avec Ponsonby Sound. Nous sommes désormais dans le territoire de l'ethnie de Jemmy Button, les Yagans ou Yámanas.

Dans leurs récits de voyage, Darwin et FitzRoy les nomment par erreur les "Yapoo Tekeenica" ou "Tekeenica". Il s'agit en fait d'une incompréhension totale entre les amérindiens et les explorateurs anglais dès le premier voyage du HMS Beagle. Si l'on se réfère aux connaissances linguistiques actuelles sur les dialectes (désormais perdus) des Fuégiens, le mot "Yapoo" est une écriture phonétique de "iapooh" qui signifie une loutre. Quant à "tekeenica" interprétation du fuégien "teke uneka", il signifie "je ne te comprends pas". Ce qui en dit long sur les capacités de dialogue entre l'équipage de FitzRoy et les natifs Fuégiens !

Nous apprenons alors de la part des membres de l'ethnie Yagan une bien triste nouvelle : le père de Jemmy Button est décédé durant la captivité anglaise de son fils. Ce dernier l'apprend d'un air sombre, puis exécute un rituel animiste, certainement en mémoire de son père. Dans son Journal de Bord, Darwin relate la triste nouvelle et le rituel au 23 janvier 1833. Il est fort possible que les événements s'étalent en réalité sur ces deux jours. « Le pauvre Jemmy parut très grave et mystérieux à la nouvelle, mais ne montra aucun autre symptôme de chagrin. Il rappela à Bennett son rêve, puis alla chercher des branches vertes, qu'il brûla, les observant d'un regard solennel » Robert FitzRoy, Narratives.

Les Yagans sont rassurés après quelques échanges avec Jemmy et York ; ces derniers craignaient que les marins anglais ne les massacrent. Femmes et enfants sortent de leurs cachettes. Une veillée est organisée, durant laquelle les amérindiens relatent l'histoire de leur ethnie. Pour rappel, York Minster et Fuegia Basket sont les deux autres indigènes fuégiens qui ont été retenus captifs en Angleterre après le premier voyage du Beagle. Il est question de les marier pour leur retour, avec la bénédiction du missionnaire Matthews. Nous sommes alors à proximité de Woollӯa, la terre de la tribu de Jemmy Button. La soirée est marquée par d'horribles histoires de guerres et de massacres lors des incursions des Fuégiens vivant au nord du Canal Beagle (les Selknams ?) qui ravagent occasionnellement les natifs de l'île Navarino.


Peuples amérindiens d'Amérique patagonne. Crédits : wikipedia

Il semble que cette ethnie soit redoutée de tous les habitants de l'île, et que cette crainte surpasse les rivalités entre groupes éthniques "Yagans". Même les tant détestés Yamanas au nord de l'île (et que l'expédition a rencontré les jours passés) étaient aussi persécutés par cet ennemi commun. Les récits parlent d'invasions lors de la saison des « feuilles rouges » ; il doit s'agir des mois d' avril ou mai, lorsque les feuilles des arbres à feuilles caduques changent de couleur et commencent à tomber. Les montagnes du Nord-Est de la Terre de Feu sont alors plus faciles à franchir. Les "Oens" d'après la traduction de Jemmy (pour "Onas" ?) descendent en groupes armés d'une petite centaine d'hommes, volent les canoës des Yamanas pour traverser le Canal Beagle, puis sèment la mort parmi les natifs de l'île Navarino. Parfois, de vaines batailles rangées eurent lieu pour tenter de les repousser.

Le 23 janvier 1833, la nouvelle du retour de Jemmy Button s'est répandue au sein de l'ethnie Yagan, ou pour mieux dire, au sein des Yahgashagalumoalas que l'on regroupe avec d'autres sous le terme d'éthnie Yagan. Des Fuégiens ont accouru, « essoufflés par la hâte, transpirant abondamment et saignant du nez » Robert FitzRoy, Narratives. Leur peau nue peinte en rouge, blanc et noir, Darwin et FitzRoy pensent d'abord à des guerriers venus défier l'équipage. Mais très vite, ils comprennent qu'il s'agit de membres de la tribu de Jemmy Button, qui ont accouru à la nouvelle de son retour. Ils devaient le croire à jamais perdu, tant leur excitation est grande ! Tous proviennent de "Woolliah" (ou "Wollya"), où vit la famille de Jemmy.

Décision est prise de tourner le dos à l'anse de Ponsonby pour se diriger vers Wollya, à quelques heures de là. Sur place, des Yagans appartenant à la famille de Jemmy se sont rassemblés, et le campement prend des airs de grande cousinade. Le 24 janvier 1833, Darwin, FitzRoy et les marins du Beagle partis en petite flottille font escale à Wollya. Le capitaine ne tarit pas d'éloges sur cette terre qu'il juge accueillante et fertile. Est-ce là qu'il compte établir sa Mission permanente ? Jemmy Button a passé la soirée dans le wigwam de sa mère, en compagnie de sa mère et de ses frères. Le jeune homme a hélas perdu le souvenir de sa langue native en si peu de temps qu'il s'exprime avec ses frères en un mélange d'anglais et d'espagnol !

Le 25 janvier 1833, les Fuégiens construisent des wigwams : un pour le missionnaire Matthews, un pour Jemmy, et un pour York et Fuegia. Les membres de l'ethnie de Jemmy continuent d'arriver, attirés par l'annonce du retour au pays des captifs. Il est décidé que la Mission s'installera à Wollya. Une petite parcelle de terre a été choisie près des wigwams. On y sème des pommes de terre, carottes, navets, haricots, pois, laitue, oignons, poireaux et choux.

La journée se passe joyeusement, d'autres Fuégiens arrivent encore au campement. Figure un grand homme qu'ils désignent comme un otage "Oen" du nom des tribus septentrionales qui ravagent parfois aussi leurs terres. L'oncle de Jemmy Button arrive à son tour. Des invités indésirés se mêlent à la foule. Jemmy les rejette violemment, les qualifiant de "mauvais hommes" avec qui les siens ne "sont pas amis". Néanmoins, les échanges entre Anglais et Fuégiens demeurent bon enfant. Du troc de vêtements et de vieux outils s'organise en échange de poisson frais.

Jemmy est très fier de présenter au capitaine FitzRoy sa mère ainsi entièrement revêtue de vieux vêtements dépareillés ! La scène est proche de la caricature des missionnaires blancs en terres indiennes, mais l'ambiance au 25 janvier 1833 semble détendue. Le 26 janvier 1833, les Fuégiens sont interloqués par le spectacle des marins du Beagle se lavant dans un proche ruisseau. Leur peau blanche, mais aussi leurs vêtements et chaussures, attirent les curieux. Craignant d'être volés, les marins cessent rapidement leurs ablutions.

Une fois de plus, le manque d'intérêt de Darwin pour les Fuégiens lui fait passer à côté d'une belle découverte ethnologique. Le frère aîné de Jemmy Button se présente comme une sorte de "médecin". Ce qui n'est pas sans rappeler entre ses lignes le "medecine man" des Amérindiens. La description de cette place honorifique dans la société fuégienne est rapportée par FitzRoy, qui consacre d'ailleurs dans ses Narratives un chapitre entier aux Fuégiens rencontrés durant ses explorations. Même si pour lui ce "médecin" n'est qu'un imposteur qui a pour principale occupation de "faire semblant de guérir la maladie", il semble qu'il ait aussi le rôle de conseiller diplomatique et un droit de regard sur les affaires de la tribu.

Le soir du 26 janvier, les marins nettoient leurs armes et s'exercent au tir, ce qui provoque un terrible raffut dans la petite anse de Wollya. Est-ce le bruit tonitruant qui effraie les Fuégiens ? Le lendemain, la plupart des amérindiens sont repartis subitement qu'ils sont apparus. Ou bien est-ce l'incident avec un vieil homme et une sentinelle qui l'écarte un peu brutalement du campement des marins du Beagle ? Le vieil homme vexé se serait réfugié à quelques pas de là, mimant des gestes menaçants que l'équipage interprète comme des provocations cannibales.

Mais avec une capacité de communication toujours aussi limité, qui peut vraiment dire quels sont les propos tenus parmi les Fuégiens, peut-être eux aussi inquiets que la relative harmonie avec les marins anglais ne dégénère à tout moment ? Même Jemmy ne sut le dire ! Toujours est-il qu'au 27 janvier 1833, FitzRoy décide qu'il est temps pour l'équipage de prudemment se retirer. Le missionnaire Matthews, Jemmy Button, York Minster et Fuegia Basket demeurent sur place, hébergés dans leur petite mission faite de constructions rudimentaires. Entre le 27 et le 28 janvier 1833, le capitaine FitzRoy ne manque cependant pas de s'inquiéter du vif revirement d'attitude des Fuégiens, comme il le rapport dans ses Narratives : « Malgré la décision que j'avais prise concernant les indigènes, je ne pouvais m'empêcher d'être extrêmement inquiet au sujet de Matthews, et tôt le lendemain matin, nos bateaux furent de nouveau dirigés vers Woolläna. Ma propre anxiété a été augmentée en entendant les remarques faites de temps à autre par le reste du groupe, dont certains pensaient que nous ne devrions plus le revoir vivant; et ce fut sans une légère joie que je l'aperçus, alors que ma barque contournait une pointe de terre. Nous avons débarqué et constaté que rien ne s'était produit pour atténuer ses esprits, ou en aucune façon freiner son inclination à faire un procès équitable. Quelques indigènes étaient revenus à l'endroit, parmi eux un des frères de Jemmy. Mais ils étaient si loin de montrer la moindre mauvaise volonté, que rien ne pouvait être plus amical que leur comportement ».

Dans les prochains jours, FitzRoy reviendra à Wollya (Wooläna) pour prendre des nouvelles de Matthews. Nous saurons alors si la Mission a réussi ou non son implantation. D'ici là, il est temps d'achever ce billet et de vous laisser dans le suspens du dénouement. Le traitement des fuégiens, tout aussi choquant qu'il puisse transparaître dans le jugement porté par Darwin et même par le capitaine FitzRoy, n'en reste pas moins fort préoccupant. Car la mission préfigure toute une entreprise de destruction civilisationnelle qui n'est pas sans rappeler l'extermination alors en cours des peuplades amérindiennes. Une fois de plus, Darwin rate une occasion inouïe de fonder avant l'heure les bases d'une ethnologie moderne. Et nous ne pouvons qu'être les témoins de la destruction en marche des Fuégiens. Tristes Terres de Feu, pour paraphraser le célèbre titre de Claude Lévi-Strauss.


Recherche d'un havre pour établir la mission d'évangélisation de Matthews


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