[1834] Comment Darwin dévora le Nandou qu'il voulait étudier !

 En janvier 1834, Charles Darwin écrit dans ses Notes zoologiques : « Il existe différentes références au sujet d'une seconde espèce de Rhea sp., qui ne se croise que très rarement au Nord du Rio Negro. Mr. Martens en a tiré un à Port Desire, que j'ai d'un coup d’œil assimilé à un jeune spécimen de l'espèce commune – il mesurait aux deux tiers de la taille de l'espèce commune. J'en avais vu quelques spécimens vivants de la même taille, mais j'avais complètement oublié les Petises ». Mais à quelle anecdote Darwin fait-il allusion ?

Alors qu'il était au Rio Negro en 1833, les Gauchos lui parlèrent d'un Nandou fort rare qu'ils appelaient ''Avestrus Petise''. Moins abondant que le Nandou commun (Rhea americana), il lui ressemblait beaucoup. A la différence que leur Avestrus Petise était plus foncé, plus pommelé de plumage, plus petit de taille et ses plumes descendaient plus bas. Farouche, il se prenait cependant beaucoup plus facilement avec des bolas que son cousin commun. Chose curieuse, l'Astrus Petise est seon les Gauchos rarement observé aux abords du Rio Negro, alors qu'il devient abondant à 1 degré et demi de latitude plus au Sud.

Comme il le raconte dans son Voyage autour du Monde, Darwin avait complètement oublié cette anecdote au moment où Conrad Martens rapporta fièrement son trophée de chasse. L'oiseau fut plumé et rôti au bivouac pour le repas du soir. Il semblerait que l'événement se produisit alors que Darwin et Martens participaient à l'exploration des alentours de Port Desire avec Mr. Chaffers et l'équipage de la Yole. Toujours est-il que l'anecdote de l'Avestrus Petise des Gauchos revint en mémoire de Darwin tout en dégustant sa part de Nandou ! Par chance, il parvint à récupérer la tête, les pattes et quelques plumes parmi les déchets du bivouac (Zoology Notes). D'autres parties du corps sont également conservés : « Heureusement, on avait conservé la tête, le cou, les jambes, les ailes, la plupart des grandes plumes et la plus grande partie de la peau. Je pus donc reconstituer un spécimen presque parfait, exposé aujourd’hui dans le musée de la Société zoologique » Charles Darwin, Voyage d'un Naturaliste autour du Monde.

Dans ses Notes zoologiques et le Voyage d'un naturaliste autour du Monde, Darwin insiste également sur le témoignage d'un métis vivant auprès des Amérindiens. L'homme lui expliqua que dans les terres australes, il n'existe pas d'autre espèce de Nandou que ces ''Petises''. Les femelles pondent cependant moins d’œufs que les Nandous communs. Ce sont également des oiseaux plus farouches, qui s'éloignent au moindre danger. Et si leur chasse est aisée pour des Gauchos à cheval, leur observation à distance sans longue vue ornithologique actuelle devait être particulièrement difficile.

A partir des échantillons récupérés in extremis lors de ce bivouac, Darwin put faire réaliser une reconstitution taxidermique suffisamment convaincante pour exposer ce spécimen à Londres. Le zoologiste et ornithologue John Gould qui travailla sur les collections d'oiseaux rapportées du voyage du Beagle proposa en 1837 de décrire les ''Petises'' comme une nouvelle espèce qu'il baptisa Struthio darwinii. Darwin, dans son Voyage d'un naturaliste autour du Monde, résume ainsi la répartition géographique des deux espèces de Nandous : « Pour conclure, je puis ajouter que le Struthio Rhea habite le pays de la Plata et s’étend jusque par 41 degrés de latitude, un peu au sud du rio Negro, et que le Struthio Darwinii habite la Patagonie méridionale ; la vallée du rio Negro est un territoire neutre où l’on trouve les deux espèces » Charles Darwin, op. cit.

Les Nandous sont des Rheidae, seule famille de l'ordre des Rheiformes, apparentés aux Paléognathes avec les Autruches, Kiwis, Casoars et Émeus. Mais à l'époque du Voyage de Darwin, Nandous et Autruches étaient parfois confondus dans le même genre Struthio sp. Or les Autruches sont des Struthionidae de l'ordre des Struthioniformes ! Si cette erreur zoologique perdure dans le Voyage d'un naturaliste autour du Monde, elle fut en partie corrigée en 1841 avec la parution du recueil de fascicules ornithologiques de Gould. En effet, ce dernier désigne le Nandou de Patagonie méridionale avec la nomenclature binominale plus correcte de Rhea darwinii. Mais la polémique ornithologique ne s'arrête pas là pour autant. Peu de temps avant Darwin, le naturaliste français Alcide d'Orbigny observa ces Nandous alors qu'il se trouve au Sud du Rio Negro. Cependant, il ne parvient pas à collecter un spécimen. Toutefois, d'Orbingy clama la paternité de la découverte.

Aujourd'hui, les ornithologiques français tranchent le débat de la manière suivante. Le Nantou de Darwin, de son nom vernaculaire, a été rebaptisé Rhea pennata (d'Orbigny, 1834). Notez toutefois que nous sommes les seuls à rendre ainsi hommage au voyage de Darwin, les anglo-saxons nommant l'espèce ''Lesser Rhea'' (Petit rhéa) Rhea pennata (d'Orbigny, 1834) sans aucune allusion darwinienne. Curieux hasard que de lire les ornithologues français favoriser un naturaliste anglais aux dépens de leur compatriote !



Rhea Darwinii. In : Birds Part 3 of The zoology of the voyage of H.M.S. Beagle , by John Gould (1841)


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