[1835] Rencontre avec une Reine

Le 24 novembre 1835, le Capitaine FitzRoy accompagné de Charles Darwin sont reçus par la Reine Pōmare IV. La jeune souveraine se trouve alors dans une situation fort inconfortable vis à vis des Britanniques, suite à l'affaire du voilier pillé. En dédommagement à cet acte de piraterie ''légal'' selon les Lois tribales, la Reine doit verser 2853 dollars à la Couronne britannique. Mais l'affaire traîne en longueur, et le délais de paiement fixé au 1er septembre 1835 est dépassé. Un émissaire de la Couronne britannique en la personne de Mr. Bicknell s'était déjà présenté devant la Reine pour recevoir ce dédommagement, cependant il n'avait reçu aucune réponse. La Reine plaide sa bonne foi, mais prétend ne pas avoir compris à quel représentant légal cette somme devait être versée.

Le Capitaine FitzRoy, mandaté par le Commodore de Lima pour régler cette affaire, s'exécute non sans une certaine brutalité. S'il fait preuve de patiente et de diplomatie en recourant au principal conseiller de la Reine, le missionnaire anglais Pritchard, il ne cache nullement son impatience devant la jeune souveraine. Relatant en détails sa mission diplomatique dans ses Narratives, il menace tout autant qu'il flatte la monarchie tahitienne, dans une stratégie de force colonialiste et un discours froidement paternaliste. A demi-mot, la Reine comprend que si elle ne s'incline pas promptement devant les Britanniques, elle pourrait bien être destituée manu militari. Les promesses de non-agression et le respect exprimé au nom du peuple britannique envers la monarchie tahitienne sonnent faux. De toutes évidences, FitzRoy n'exprime la non-intention de punir les fautifs ou d'annexer l'archipel que pour mieux gronder ces menaces. Personne n'est dupe, et la Reine Pōmare comprend rapidement la tournure de l'entrevue. Au final, le 26 novembre 1835, la Reine adresse une missive au Capitaine FitzRoy, dans laquelle elle annonce le versement de 2338 dollars à Mr. Bicknell. L'arrangement est accepté, et le HMS Beagle s'apprête à quitter Tahiti.

Cet épisode illustre les difficultés du début de règne de la Reine Pōmare IV, en 1827. Sous ingérence européenne, Tahiti n'est déjà plus qu'une monarchie fantoche. Traditionaliste et indépendantiste, la jeune Reine peine à inverser la situation. Les missionnaires britanniques avaient obtenu de son père, le Roi Pōmare II, l'abandon de diverses traditions cultuelles. La jeune Reine peine à les rétablir, certains chefs locaux prenant même le parti des missionnaires. Survivant à la crise politique sans déclencher de guerre civile, elle obtient une première victoire politique. Cependant, les missionnaires britanniques ont joué un double jeu dans cette affaire. Accordant leur soutien à la monarchie, ils tendent un piège politique dans lequel la jeune Reine ne pouvait que tomber. Les chefs rebelles sont bannis, le culte traditionnel rétabli, mais la monarchie affaiblie est sous la coupe du fameux pasteur George Pritchard. Sans autre choix pour son avenir politique, la Reine se convertit au christianisme en 1836.

Dès lors, elle n'eut de cesse de demander, par l'intermédiaire de Mr. Pritchard, l'instauration d'un Protectorat britannique. Mais en vain. Le pasteur Pritchard, échaudé par la présence de missionnaires catholiques français, commet une erreur en ordonnant leur expulsion en 1836. En réponse, la France dépêcha une expédition commandée par l’amiral Abel Aubert Du Petit-Thouars. En 1842, le Commandant impose par la force le Protectorat français. Pritchard conseille alors à la Reine de se rebeller, espérant un prompt soutien militaire britannique. Il n'en sera rien, et la guerre franco-tahitienne (1844 – 1846) verra les troupes tahitiennes pro-britanniques écrasées. La Reine Victoria interféra cependant pour éviter l'exil définitif à la Reine Pōmare IV. Les Français rétablissent une monarchie fantoche, soumise à l'approbation du Protectorat.

L'escale du HMS Beagle à Tahiti s'inscrit dans cette histoire mouvementée de début de règne. Darwin, quant à lui, n'accorde que peu d'importance aux événements diplomatiques dont il est témoin. Tout juste écrit-il dans son Journal de Bord que « la Reine est une femme corpulente et lourdaude, sans aucune beauté, grâce ou dignité dans ses manières ». Sans commentaires ...


Image d'illustration : Portrait de la reine Pomare IV de Tahiti par Charles Giraud, 1851, Musée de Tahiti et des Îles

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