[1832] Darwin et le Diodon

Toujours à Bahia, Darwin achève sa convalescence forcée par une observation originale pour un naturaliste anglais de cette époque un Diodon tacheté (Chilomycterus antennatus). Alors qu'il est immobilisé suite à une malheureuse blessure enflée au genou, Darwin prend son mal en patience. Il profite des visites du Capitaine Paget et attend qu'enfin sa jambe lui permette de retourner explorer les environs. L'équipage n'oublie pas de distraire le jeune naturaliste avec une prise des plus originales.


Diodon - Everman et al.. (1902) Fishes of Porto Rico, BUSFC, v.20, pt.1

Un jour qu'ils capturent un curieux poisson sphérique, il s'empressent de jouer au ballon avec ce vertébré. Darwin s'extasie pour sa part devant la biologie stupéfiante de ce poisson : « Je m'amuse beaucoup un jour à étudier les habitudes d'un Diodon antennatus qu'on avait pris près de la côte » Charles Darwin, Voyage d'un naturaliste autour du monde. Darwin connait fort bien la capacité de ce poisson à se gonfler au moindre danger. Il prend le temps de décrire la morphologie de l'animal et sa capacité à aspirer rapidement de grandes quantités d'eau pour se gonfler. Mais Darwin ignorait que l'animal est toxique.

En effet, les Tetraodontiformes sont capables de produire une neurotoxine, la tétrodotoxine. Découvert en 1909, ce fameux « poison de Fugu » est une toxine puissante, présente dans ses viscères, peau, gonades et foie. La tétrodotoxine bloque les canaux sodium voltage-dépendants, empêchant toute activité nerveuse. Si la situation est réversible à faible dose, ce blocage se produit pour une concentration de 1 µg/ml. Comment risque-t-on de s'intoxiquer ? Déjà en consommant du "fugu" mal préparé !

Car cette toxine est redoutable, on estime que la DL50 de la tétrodotoxine serait de 20 mg pour un être humain. En toxicologie, la DL50 est la dose nécessaire pour provoquer la mort de 50 % d'un groupe d'individus. Encore plus surprenant, ce n'est pas le Diodon ni quelques unes des 350 espèces de ce poisson qui produisent cette toxine. En réalité, elle est métabolisée par des bactéries commensales répondant aux noms scientifiques de Aliivibrio fischeri, Pseudomonas sp., Vibrio altermonas et Vibrio alginolyticus.

Darwin ne consomma pas de Diodon durant cette escale, et il a probablement bien fait. Car au Japon, on estime que la consommation de fugu provoque entre 20 et 44 accidents par an, pour un maximum macabre de 6 morts annuels. Darwin aurait peut-être été intrigué par l'usage ethnologique de la tétrodotoxine dans les rites vaudous haïtiens. Prise à des doses sublétales, la personne désignée par la communauté était plongée dans un état « zombifié » par l'absorption de la toxine et d'une décoction d'herbes médicinales.

Darwin baptise le poisson qu'il observe du nom scientifique de Diodon antennatus. Malheureusement, ce nom n'est plus utilisé aujourd'hui, de sorte que l'espèce exacte décrite par Darwin est difficile à identifier. Selon le plus probable, il s'agissait d'un Chilomycterus antennatus. Plus surprenant encore, dans son Voyage d'un naturaliste autour du monde, Darwin rapporte l'observation d'un Diodon flottant vivant et distendu dans l'estomac d'un requin. Réalité ou affabulation ? Il est possible que cette exagération ait échappé à la vigilance de Darwin !

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