[1832] Escale à l'archipel des Abrolhos

La mission officielle de cartographie du HMS Beagle comprenait l'exploration de l'archipel des Abrolhos, un ensemble de récifs coralliens situés au large du Brésil, dans l'océan Atlantique. Le Capitaine FitzRoy avait reçu de l'Amirauté l'instruction de confirmer la position géographique précise de cet archipel, ainsi que d'effectuer des sondages sur la profondeur et la position de hauts-fonds susceptibles d'entraver la navigation.

Ce n'étaient pas les premiers relevés précis effectués pour cet archipel, connu depuis le XVIème siècle. Mais ceux réalisés en 1819 par le vice-amiral baron Roussin de la marine française étaient fort incomplets et nécessitaient d'être achevés. Ce fut aussi, durant l'escale des 27 et 28 mars 1832, l'occasion pour Darwin d'y mener la première exploration naturaliste connue. Etonnant d'ailleurs que rien n'ait été entrepris dans ce sens durant l'expédition du baron Roussin.

L'Archipel des Abrolhos - vue satellite (CNES / Google Earth)


L'archipel se compose de 5 îles: Santa Bárbara, Sueste, Redonda, Guarita et Siriba. Ainsi que de 6 récifs submergés, particulièrement dangereux pour la navigation. La formation géologique de l'archipel remonte entre 42 et 52 millions d'années. Composé de roches volcaniques et de sédiments sableux, l'archipel abrite les plus grands récifs de corail de l'océan Atlantique. Par mesure de sécurité maritime et pour éviter toute pollution de ce site naturel exceptionnel, les routes maritimes actuelles l'évitent bien au large.

Du temps de Darwin, les colonies d'oiseaux de l'archipel sont allègrement pillées pour servir de viande fraîche aux équipages y faisant escale. Le Beagle ne fait pas exception. Darwin comme le capitaine FitzRoy notent l'importante quantité d'oiseaux marins abattus puis chargés à bord du brick-sloop.

Cependant, Darwin prend le temps de décrire la richesse ornithologique de l'archipel dans ses Notes zoologiques : « Les oiseaux de la famille des Totipalmes sont extrêmement abondants, tels que les Fous de Sulas , les oiseaux tropicaux et les frégates ». La famille des Totipalmes est un taxon ancien désignant les Pélécaniformes. Quant aux espèces rencontrées, la mention des Fous barre le genre Sula sp. Il est fort probable que Darwin ait observé alors des Fous masqués (Sula dactylatra) mais qu'il n'ait pas identifié l'espèce avec certitude. Par ailleurs, il observa certainement la Frégate superbe et le Phaéton à bec rouge.

La géologie de l'archipel intéresse fortement le capitaine FitzRoy : « Leur formation géologique, m'a dit M. Darwin, est de gneiss et de grès, en strates horizontales » Narratives, FitzRoy. En réalité, FitzRoy n'a pas tout saisi des explications de Darwin. S'il a bien parlé de falaises de grès, une roche sédimentaire issue du sable, il n'y a pas de roches métamorphiques sur place, donc pas de gneiss. Par contre, il est possible d'observer des "trap rocks" ou formations de basalte en colonne. Ce sont des témoins de la formation de l'archipel, issu de l'activité d'un point chaud.

Enfin, le corail intéresse fortement Darwin qui note la présence de Mussismilia braziliensis, ou "corail cerveau" dans ses écrits, présente une forme sphérique qu'il interprète comme la conséquence d'une contrainte mécanique des vagues. « Autour de plusieurs îles intertropicales, par exemple, les Abrolhos, sur la côte du Brésil, étudiées par le capitaine Fitzroy, et, suivant les informations de M. Cuming, autour des Philippines, le fond de la mer est entièrement revêtu de masses irrégulières de corail qui, quoique souvent de grande étendue, n'atteignent pas la surface et forment des récifs particuliers. Ce résultat doit être attribué, soit à une croissance insuffisante, soit à l'absence des espéces de coraux capables de résister à la force des vagues ». Les récifs de corail leur structure et leur distribution (1842), Charles Darwin.

Mais la forme spécifique de cette colonie de Cnidaires n'est pas la seule caractéristique remarquable de cette espèce. Contrairement aux autres récifs mondiaux se trouvent normalement dans des conditions oligotrophes, les écosystèmes récifaux du brésil sont souvent exposés à des taux de sédimentation élevé. Pour survivre dans ce type de milieu, les espèces coralliennes brésiliennes disposent de mécanismes d'adaptation très spécifiques. Le "corail cerveau" peut ainsi croître dans un niveau de turbidité extrêmement élevé, ce qui lui permet de très bien se développer dans ces eaux, au point d'être la principale espèce de corail bâtisseuse des récifs d'Abrolhos.


Mussismilia braziliensis des récifs coralliens des Abrolhos


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