[1831] Darwin s'installe dans la cabine de la dunette
Ses premières visites n'ont rien d'encouragent pour lui. Le 12 septembre 1831, il fait un rapide saut à l'Arsenal où le navire est en cale sèche. Les ouvriers s'affèrent alors aux réaménagements souhaités par le capitaine FitzRoy. "Il n'avait ni mâts ni cloisons, & ressemblait plus à une épave qu'à un vaisseau chargé de faire le tour du monde" Charles Darwin, Journal de Bord. Lors des journées froides et pluvieuses des 25 & 26 octobre 1831, ses secondes visites du navire alors amarré aux pontons du port n'ont rien de plus réjouissantes. Une cohue règne à bord. La peinture de la coque n'est pas achevée. Les charpentiers sont encore affairés à installer des tiroirs de la dunette et des cabines. L'encombrement de planches et d'outils rend l'espace encore plus exigu qu'il n'est déjà. Il craint de devoir renoncer à bon nombre de ses affaires !
Fort heureusement le 8 novembre 1831, une nouvelle visite lui fit meilleure impression. La dunette est enfin achevée, tout comme les derniers travaux à bord. "C'est la toute première fois qu'il se met à avoir l'air propre et bien ordonné" Charles Darwin, op. cit. Le 12 novembre, cinquième visite. Les ouvriers ont fini les travaux de peinture, les ponts sont enfin désencombrés et le matériel rangé. Darwin peut commencer à se familiariser avec le navire. "Pour la première fois j'ai ressenti une belle ferveur navale". Mieux encore, il considère désormais la dunette comme bien plus spacieuse et confortable que de prime abord ! Pour autant, cette cabine aménagée dans la dunette demeure une pièce assez réduite. Et même si Darwin considère cette étroitesse comme un excellent inducteur d'habitudes méthodiques, le manque de place l'effraye quelque peu alors qu'il charge ses instruments et effets personnels. Le Capitaine FitzRoy ne manque cependant pas de le rassurer et trouva toujours une solution pour satisfaire les besoins de son naturaliste.
La dunette va donc remplir deux fonctions communes, à la fois cabine et salle de travail. Darwin dort le soir sur un hamac au fond de cette salle des cartes. La journée, il doit partager la pièce avec les officiers en charge de cartographier les côtes. Les Aspirants John Lort Stokes (assistant hydrographe) & Philip Gidley King sont les colocataires les plus assidus de Darwin. Bien évidemment, la table pouvait accueillir tout autre officier de bord dès lors que le service l'exigeait. La bibliothèque du HMS Beagle se trouvait également dans cette salle des cartes. Réservée à l'usage des officiers, elle était scrupuleusement tenue par M. Stebbing (civil recruté par le Capitaine, ayant pour rôle de veiller à l'entretien des instruments à bord et accessoirement bibliothécaire du navire). Stokes conserva après le voyage la copie des consignes de prêt. Ce document servit de référence aux rédacteurs du premier volume de la Correspondance complète de Darwin pour retranscrire la liste des ouvrages disponibles à bord.
Mais revenons à l'automne 1831. Le 14 novembre demeure une date importante de l'expédition, puisqu'en ce jour le capitaine FitzRoy reçut ses instructions officielles de l'Amirauté. En ce même jour, la bibliothèque est enfin remplie. Le Capitaine FitzRoy en profita pour offrir à son compagnon de voyage un exemplaire du premier tome des Principes de géologie de Lyell. Un cadeau fortement suggéré par le Pr. Henslow, et qui allait grandement influencer le jeune Charles Darwin au cours de son voyage. Parmi les autres livres embarqués à bord, nous trouvons également Lamarck et son Histoire naturelle des animaux sans vertèbres ! Il est évident que les différents ouvrages à bord du HMS Beagle ont contribué à inspirer les observations du jeune Darwin durant son voyage. Nous y reviendrons bien évidemment à l'avenir.
La "chambre des cartes" ou salle des cartes, au centre de la dunette, qui servit aussi de cabine à Charles Darwin. |
Les visites à bord de Darwin se multiplient. Le 16 novembre ; puis le 21 novembre, journée durant laquelle il transfert ses propres livres et instruments. Sur les pontons du port de Plymouth, un marin ivre tombe à l'eau et se noie. Son corps ne fut jamais retrouvé. L'anecdote tragique marque Darwin, lui qui avait horreur de l'ivrognerie. Le lendemain 22 novembre 1831, le jeune homme fut cependant en butte face à l'épineux problème du rangement à bord d'un navire. Le Capitaine FitzRoy lui-même vint à sa rescousse afin de lui enseigner comment optimiser ses tiroirs à bord d'un navire. Je suppose que comme tout bon marin qui se respecte, FitzRoy aurait été un excellent joueur de Tetris !
La majorité des affaires personnelles de Darwin étaient correctement rangées au 23 novembre 1831, lorsque le HMS Beagle largue les amarres pour mouiller dans la petite baie de Barnett Pool. Darwin en profite pour découvrir, pour la première fois, l'organisation proverbiale d'un équipage à la manœuvre sur un navire de Sa Majesté. Le HMS Beagle transporte alors entre 5000-6000 boîtes conserve de viande. "Pas un pouce de place n'est perdu, on ne pourrait pas faire entrer un sac de pain de plus dans la cale".
Toujours est-il que les 25 et 26 novembre, Darwin s'affaire surtout à embarquer et ranger ses affaires restantes. Il lui faut absolument entreposer le plus impeccablement possible vêtements et livres, car sa cabine ne lui est pas entièrement réservée. Les officiers auront un usage fréquent de cette salle durant le voyage de cartographie du Beagle. Entre plusieurs visites et dinner-parties les jours suivantes, Darwin qui hélas avait une santé fragile doit souvent se reposer. Aussi ne reprend-il pas son interminable rangement avant le 2 décembre. Il semble qu'il soit alors pris d'une frénésie d'achats en cette veille de départ, puisque le 3 décembre, il paie, commande et empaquette encore des affaires personnelles ! Peut-être qu'en tant que voyageur encore peu expérimenté, il craint d'oublier quelques affaires une fois en mer ?
Après chaque report de départ que va connaître le HMS Beagle entre le 4 et le 27 décembre 1831, Darwin en profite encore pour mieux ranger ses affaires. "La cabine commence maintenant à avoir l'air confortable" note-t-il. Mais le plus grand défi pour notre jeune naturalise consiste à éviter de l'encombrer. Une tâche qui l'occupe quasiment deux jours entiers, les 8 et 9 décembre 1831. Hélas, deux sujets d'inquiétude vont alors occuper l'esprit de Darwin : le mal de mer, qu'il ressent dès les premières manœuvres du HMS Beagle dans la baie de Plymouth, et ses relations avec l'équipage, sur lesquelles il livre quelques réserves dans son Journal de Bord, comme nous le verrons très prochainement.
Reconstitution de la cabine Darwin et salle des cartes du HMS Beagle. Down House/English Heritage |
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