[1831] Créer des liens d'amitié avec ses futurs compagnons marins

Partir en mer pendant plusieurs années signifie aussi vivre à bord d'une petite communauté d'hommes, dans un microcosme aux rouages hiérarchiques parfaitement huilés. Mais pour Darwin qui n'est pas marin de métier, cela signifie aussi se faire accepter à bord par le corps des officiers. Pour cela, notre jeune Darwin a plusieurs cordes à son arc. C'est un fils de bonne famille bourgeoise, petit-fils du célèbre à l'époque poète et naturaliste Erasmus Darwin. Il est diplômé en théologie au Christ's College de Cambridge et sa curiosité pour les sciences l'amènent à s'intéresser facilement à la navigation et à la cartographie. Autant de bons présages pour qu'il s'intègre facilement au cercle des officiers.


Scène tirée du film Master and Commander (2003)


Mais pour cela, il lui faut fréquenter assidument ce petit monde de marins galonnés ! Notre jeune naturaliste eut ainsi la riche idée de ne pas se limiter à seulement suivre le capitaine FitzRoy dans ses préparatifs. Aussi Darwin ne manque pas une invitation mondaine auprès des officiers de Plymouth. Le 30 octobre, dîner avec les jeunes aspirants du HMS Beagle : Stewart, Usborne, Johnson, Stokes, Mellersh, et Forsyth. Darwin est leur aîné de quelques années tout au plus. Le 1er novembre, le capitaine King et son fils, qui sera lui aussi aspirant à bord, arrivent à Plymouth. Darwin leur fait bon accueil, et le jeune King deviendra un bon compagnon durant les semaines suivantes. Les activités conjointes avec les aspirants sont d'ailleurs nombreuses. Le 31 octobre, il aide Stokes à préparer le matériel d'astronomie du Beagle. Le 8 novembre, le même Stokes l'initie à l'usage du sextant. Les heures oisives avant le départ sont nombreuses, d'autant plus que le mois de décembre est marqué par des retards liés au mauvais temps. Darwin les occupe souvent en randonnées autour de Plymouth ; Stokes et King sont deux compagnons réguliers de ces excursions. Mais il ne néglige pas pour autant les officiers supérieurs. Il accompagne par exemple le second lieutenant Sulivan lors de sorties récréatives en ville. Enfin, les dinner-parties entre capitaines de la Royal Navy lui permettent de se familiariser avec ce monde très fermé d'officiers marins, dont les récits de voyage et les discussions techniques n'ont de cesse de le fasciner.

D'ailleurs, le jeune Darwin n'entend pas rester inculte en matière de navigation et de cartographie. Le 30 octobre, il écrit à son mentor le Pr. Henslow sa résolution de progresser en mathématiques, notamment en trigonométrie. Les 31 octobre et 11 novembre, il se consacre à deux journées d'étude à l'Athenaeum de Plymouth. Cet établissement fondé en 1812 se consacre toujours à la diffusion et à la formation scientifique. La bibliothèque dans laquelle Darwin étudia n'existe malheureusement plus, détruite lors du Blitz en 1941. Tout au long de l'automne 1831, Darwin ne manque pas non plus d'accompagner le capitaine FitzRoy ou les aspirants lors de leurs travaux de mesures cartographiques. Toujours est-il que le jeune Darwin veut se rendre tout aussi amical qu'utile, et s'évertue à le démontrer avant même le départ du HMS Beagle.

Vient ensuite le mois de décembre et l'interminable attente avant le départ définitif. Darwin se plaint des retards et désagréments liés au mauvais temps. Il note au 23 décembre que tout ce temps ne fut pas perdu en vain. "Je me suis convaincu que j'en ai bien profité car ainsi j'ai pu me faire aux habitudes de la vie de marin". Le 25 décembre 1831, il écrit "les officiers sont tous bon amis". Mais les rivalités entre officiers subalternes sont tout de même palpables sous sa plume. Dans ce microcosme ou tous rêvent, de l'aspirant au 1er lieutenant, d'une carrière heureuse dans la Royal Navy, les rivalités sont nombreuses. Darwin note en quelques phrases l'ambiance particulière qui se dégage à bord. Malgré une apparente camaraderie, les relations entre officiers et aspirants restent distantes. Darwin semble regretter ces faux-semblants, déplorant des conversations courtoises mais souvent creuses. Peut-être n'a-t-il pas encore compris que derrière ces manières policées se cache une cruelle compétition ?


Quartier des aspirants sur un navire de la Royal Navy, peinture par Augustus Earle (1836)

A l'opposé, les marins ne lui inspirent qu'une franche antipathie. Il n'a de cesse de rapporter l'ivrognerie des hommes d'équipage ainsi que leurs fâcheuses habitudes à l'insubordination lorsque l'alcool s'empare de leur esprit. Mépris de classe ou confrontation à un monde qu'il ignorait jusqu'à présent ? Toujours est-il que le jour de Noël, les matelots sont tous ivres, à tel point que le 26 décembre 1831, l'équipage cuve ou s'est éparpillé la veille en ville. Plusieurs fortes têtes sont sévèrement punies, des matelots passent neuf heures aux fers pour insubordination ! "Un tel spectacle prouve à quel point une stricte discipline est absolument nécessaire pour ces êtres sans cervelle que sont les Matelots". Chacun appréciera le jugement de Darwin sur l'équipage. Quant au départ du HMS Beagle prévu pour ce 26 décembre, il fut repoussé au lendemain, faute d'équipage opérationnel !

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