[1835] Observations géologiques aux Galápagos

Au cours de son escale dans l'archipel des Galápagos, Darwin visita quatre des îles majeures de ces terres lointaines. Son principal sujet d'études durant le Voyage portait sur la géologie. Et bien que ses conclusions sur la faune de l'archipel passèrent à la postérité, son compte-rendu « Geological observations on the volcanic islands visited during the voyage of HMS Beagle » (1844) nous livre un travail remarquable, presque avant-gardiste, sur la géologie de l'archipel. Quelques questions demeurent cependant sur son travail de terrain, notamment la localisation exacte des prélèvements. Une énigme qui motiva plusieurs générations de géologues pour revenir sur les pas du célèbre naturaliste.

Le HMS Beagle fit escale aux Galápagos entre septembre et octobre 1835. Fidèle à sa mission principale, le navire organisa la cartographie des îles et îlots de l'archipel. Durant cette période, Darwin eut la possibilité de débarquer à terre. Néanmoins, le temps lui était compté, et il se concentra avant tout sur l'étude géologique des îles visitées. Il délégua les prélèvements de spécimens d'oiseaux à son assistant, Syms Covington, et ne se consacra à la faune et la flore de l'archipel qu'une fois sa tâche suffisamment avancée. Des choix qui se retrouvent dans le catalogue des échantillons et spécimens prélevés : une localisation absente, au mieux signalée in extremis pour la faune et la flore ; les îles visitées correctement indiquées pour les échantillons rocheux.

Néanmoins, Darwin ne possédait pas d'instrument GPS, et les îles majeures des Galápagos sont vastes. Aussi, les scientifiques contemporains s'interrogent encore sur la localisation précise de ses prélèvements. sans douter pour autant de leur véracité, précisons-le. Divers travaux remarquables de terrain ont été publiés à ce sujet, citons Estes et al. (2000) sur les quatre îles de San Christobal, Floreana, Isabela & Santiago ; ou encore Herbert et al. (2009) sur l'île de Santiago. Tous reconnaissent avant tout les qualités de géologue de Darwin. Il s'agissait, rappelons-le, de son domaine initial de compétences scientifiques. Au cours de cette escale dans l'archipel, le jeune homme tenta d'en expliquer la géomorphologie. Fort de ses précédentes observations, et convaincu par l'actualisme de Lyell, il étudia le soulèvement des terres émergées, la direction des coulées de lave, leur origine d'abord subaquatique puis terrestre, et enfin leur dénudation.

Mais son plus remarquable travail fut probablement l'évocation d'une cristallisation fractionnée. A défaut de l'étudier dans la chambre magmatique, Darwin relate la composition minéralogique graduelle d'une coulée de lave sur l'île Santiago (James Island) : « Ce basalte, de couleur grise, contient de nombreux cristaux d'albite vitreuse, qui deviennent beaucoup plus nombreux dans la partie inférieure, scoriacée. Ceci est contraire à ce qu'on aurait pu attendre, car si les cristaux avaient été initialement disséminés en nombre égal, l'intumescence plus importante de cette partie inférieure scoriacée les aurait fait paraître moins nombreux […] Von Buch précise également que M. Dree, lors de ses expériences de fusion de lave, a constaté que les cristaux de feldspath avaient toujours tendance à se précipiter au fond du creuset. Dans ces cas, je suppose qu'il ne fait aucun doute que les cristaux s'enfoncent sous leur poids [...]. Le refroidissement de la surface de la lave semble, dans certains cas, avoir affecté sa composition […] À James Island, les cristaux d'albite, bien que sans doute de moindre poids que le basalte gris, dans les parties où ils sont compacts, pourraient facilement avoir une gravité spécifique plus grande que la masse scoriacée, formée de lave fondue et de bulles de gaz chauffé » Charles Darwin, Op. Cit.

La cristallisation fractionnée est un phénomène physico-chimique opérant dans la chambre magmatique. Le magma subit une cristallisation progressive alors que les conditions physico-chimiques (pression, température) évoluent. Les cristaux formés sont autant de phases hétérogènes dans le magma, dont la composition chimique s'appauvrit en conséquence. Les coulées de lave successives donner alors des roches volcaniques différenciées (série magmatique différenciée). Le processus de différenciation magmatique sera proposé pour la première fois par le pétrologiste Norman Levi Bowen (1915). Mais au cous du XIXème siècle, divers géologues en acquièrent l'intuition en observant des coulées de laves. Et Darwin en fait partie.


Principe de cristallisation fractionnée (Wikipedia)


Enfin, notre jeune naturaliste s'intéressa à la dénudation ; c'est-à-dire l'érosion de la surface créée par l'action de l'eau, du vent ou de la glace, et entraînant un nivellement des reliefs et paysages. Ce phénomène géologique va lessiver le sol jusqu'à laisser apparaître la roche-mère, comme au bord d'une falaise par exemple. Un mécanisme que tout à chacun peut observer, mais que Darwin présenta avec tant de rigueur que Sir Archibald Geikie, géologue britannique spécialiste du phénomène, l'évoqua quelques décennies plus tard comme l'un des premiers scientifiques à véritablement reconnaître l'importance géologique du phénomène !

Dans la culture populaire, le Voyage du HMS Beagle demeure fortement lié à l'élaboration de la théorie de la sélection naturelle. Pourtant, Darwin consacra son périple principalement à la géologie. Hélas, ses contributions aux sciences de la Terre sont de nos jours souvent oubliées. Heureusement, la consultation de ses trois ouvrages de géologie permet de redécouvrir ce Darwin géologue si mal connu. Converti à l'actualisme de Lyell alors que paraissent les Principes de Géologie, observateur de terrain affûte grâce aux enseignements du Pr. Adam Sedgwick, Darwin publia des travaux de géosciences en avance sur ses contemporains. Et même si la plupart de hypothèses sont désormais considérées comme obsolètes, elles marquèrent fortement les progrès constants de la géologie du XIXème siècle.

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