[1835] FitzRoy et les Pinsons de Darwin, un raté
Le Capitaine FitzRoy, célèbre commandant du HMS Beagle, était aussi collectionneur d'oiseaux naturalisés. Il profita d'ailleurs du Voyage pour agrandir sa propre collection. Aussi, lorsqu'il aborda l'ornithologie dans ses Narratives, nous pouvons nous attendre à découvrir quelques observations aviaires pertinentes. Mais en réalité, la lecture de ses comptes-rendus se révèle assez décevante à ce sujet. Surtout lorsqu'il aborde les fameux Pinsons des Galápagos :
« Tous les petits oiseaux qui vivent sur ces îles recouvertes de lave ont un bec court, très épais à la base, comme celui d'un bouvreuil. Cela semble être l'une de ces admirables dispositions de la Sagesse Infinie par lesquelles chaque créature s'adapte à l'endroit auquel elle est destinée. Pour ramasser des insectes ou des graines qui reposent sur de la lave dure comme du fer, la supériorité de ces becs sur les becs délicats ne fait aucun doute, je crois ; mais leur force et leur largeur ont peut-être un autre but. Colnett écrit, p. 59, ''Ils observèrent un vieil oiseau en train d'abreuver trois jeunes en pressant dans leur bouche une baie d'arbre. Elle était de la taille d'un pois et contenait un jus aqueux, au goût acide, mais agréable. Les feuilles de ces arbres absorbent l'abondante rosée qui tombe pendant la nuit ; les oiseaux les percent ensuite de leur bec pour s'imprégner de l'humidité qu'elles retiennent, et qu'ils se procurent, je crois, également dans diverses plantes et conifères. Le chardon torche contient un liquide en son cœur, que les oiseaux buvaient lorsqu'il était coupé. Ils l'extrayaient même parfois des jeunes arbres en perçant les troncs avec leur bec. Car pour presser ainsi les baies et percer les fibres ligneuses, ou même seulement les feuilles robustes, un bec fin et léger serait à peine disponible''. Colnett observe que certains des oiseaux qu'il a vus ressemblaient à ceux qu'il avait vus en Nouvelle-Zélande, mais comme il remarque également que toutes les coquilles mortes qu'il a trouvées sur la plage lui étaient familières, je pense que l'on peut douter de la précision de son œil, sinon de sa mémoire, dans ces cas-là ».
Robert FitzRoy, Narratives (1839)
FitzRoy ne fut pas pour le moins un observateur attentif, puisqu'il réduit les fameux Pinsons à une seule variante, celle à ''bec court, très épais à la base''. Il est vrai que le Capitaine eut peu de temps sur place pour se consacrer à l'ornithologie, absorbé par ses devoirs d'officier ainsi que par ses missions cartographiques et météorologiques. Pour autant, Darwin eut fort à faire avec la géologie de ces îles volcaniques, pourtant il prêta attention aux pinsons que captura pour lui son jeune assistant. Plus étonnant encore, FitzRoy ne fait pas allusion de cette diversité aviaire ; il semble même passer sous silence les spécimens rapportés par le naturaliste de l'expédition ; alors qu'il en eut certainement connaissance dès 1835 au cours de l'escale1 ! En réalité, FitzRoy préfère s'appuyer sur les observations de James Colnett, officier de la Royal Navy qui cartographia partiellement les Galápagos en 1792-93. Citant les Comptes-rendus de Voyage de Colnett, il conforte ses propres observations grâce à celles de son prédécesseur. Pourtant, de l'aveu même de FitzRoy, Colnett était un piètre naturaliste. Alors pourquoi attacher de l'importance aux remarques de cet officier distrait plutôt qu'à celles patiemment collectées par Darwin ? FitzRoy s'entête, au risque même de se contredire lorsqu'il loue « la supériorité de ces becs sur les becs délicats » ! Peut-être faut-il y voir tout autant une jalousie personnelle envers Darwin qu'un maladroit tour de force pour arranger ses opinions créationnistes.
Alors qu'il termine la rédaction de ses Narratives, FitzRoy se fit voler la primeur de leur publication par le Journal of Researches de Darwin. Notre gentleman naturaliste, déjà populaire dans les milieux universitaires, connaît rapidement un succès éditorial auprès du grand public. Un affront aux yeux de FitzRoy : n'est-ce pas au commandant d'un expédition que de publier en premier ses Comptes-rendus ? La gloire d'une telle expédition ne doit-elle pas lui revenir en premier ? L'exemplaire de Darwin entre les mains, le Capitaine FitzRoy nourrit une rancœur envers son ancien naturaliste à bord. Elle fut probablement attisée par des opinions religieuses de plus en plus radicales. Alors que Darwin énonçait déjà entre les lignes l'hypothèse d'une transformation des espèces, FitzRoy n'y voyait que « d'admirables dispositions de la Sagesse Infinie ». Autrement dit, la preuve d'une action divine. Un raisonnement qui apparaît clairement dans les derniers chapitres de ses Narratives, lorsque FitzRoy défend la thèse d'une création biblique de la Terre.
« Je crois que les collections d'oiseaux constituées par M. Bynoe, le capitaine FitzRoy et moi-même donneront une série presque parfaite des oiseaux » s'enorgueillit Darwin dans ses Zoology Notes. Hélas, FitzRoy ne fit pas honneur à ce beau compliment. Jalousie personnelle, opinions religieuses radicales ; difficile d'expliquer les observations naturalistes biaisées de FitzRoy sans tomber dans l'argument personnel. Or si l'officier brilla par ses travaux cartographiques et météorologiques et nous livra un récit de voyage rigoureux des deux premières expéditions du HMS Beagle, ce ne fut guère le cas pour ses observations naturalistes ou ethnologiques. L'hypothèse d'un parti-pris créationniste mêlé d'une rancœur naissante envers Darwin demeure hélas une piste crédible dans cette regrettable affaire.
![]() |
FitzRoy et les Pinsons des Galapagos, une rencontre ratée ? |
1. Selon une anecdote non vérifiée, Syms Covington, aide de camp de Darwin durant le Voyage, avait mal étiqueté les fameux Pinsons. Une confusion régnait sur la localisation des spécimens naturalisés au terme de l'escale aux Galápagos. Le Capitaine FitzRoy aurait vertement tancé le pauvre Syms pour ce travail bâclé. Heureusement, les données purent être reconstituées dans les Carnets de terrain de Darwin. Si l'anecdote est vraie, alors FitzRoy connaissait la diversité phénotypique des fameux Pinsons dès 1835.
Commentaires
Enregistrer un commentaire